Liszt visionnaire et virtuose par Olivier Latry à l’orgue de la Philharmonie de Paris

par

Liszt Inspirations. Franz Liszt (1811-1886) : Fantasie und Fuge über das Thema B.A.C.H. (version Jean Guillou) ; Liebestraum No. 3 (trans. Olivier Latry) ; Variationen über Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen (arrgmt Marcel Dupré) ; Saint François d’Assise : La Prédication aux oiseaux (trans. Camille Saint-Saëns) ; Fantasie und Fuge über den Choral Ad nos, ad salutarem undam. Olivier Latry, orgue Rieger de la Philharmonie de Paris. Décembre 2020. Livret en français, anglais, allemand. TT 77’08. La Dolce Volta LDV 95

Les trois œuvres les plus ambitieuses que le grand compositeur romantique légua aux tuyaux, par un organiste internationalement admiré, sur un orgue récent et médiatisé, cela dans un élégant livre-disque dont le dos rose attrape l’œil : un album armé pour la tête de gondole, à l’instar du Voyages (Erato, 2016) réalisé au même endroit peu après l’inauguration. La photo de couverture et l’interview dans les feuillets personnalisent l’objet et nous renseignent sur la conception de son interprète. Celui-ci voit en Liszt un visionnaire et un « génie inspirant ». En l’occurrence Olivier Latry a privilégié les partitions retravaillées par des tiers. La version de la Fantasie und Fuge über das Thema B.A.C.H. synthétisée par Jean Guillou (éditions Schott) d’après les deux moutures pour orgue et celle pour piano. Les Variationen über Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen arrangées par Marcel Dupré d’après l’original pianistique S.180 daté de 1862 (on le consultera par exemple dans le volume 3 de l’intégrale gravée par Leslie Howard chez Hyperion) : une partition tout récemment publiée chez Butz Musikverlag en 2016 et que Denny Wilke fut le premier à enregistrer, à la Marienbasilika de Kevelaer pour les micros de Paschenrecords. La première des deux Légendes franciscaines S. 175 est jouée dans la transcription de Saint-Saëns, agrémentée par l’interprète qui nous dit s’être référé aux couleurs de Messiaen pour évoquer les chants d’oiseaux. Une volière onirique, infiniment poétique, qui fait scintiller les jeux aigus et les Mixtures.

Olivier Latry est lui-même le transcripteur du célèbre Liebestraum et partout ailleurs, enchérissant sur les textes de seconde main, il appose sa signature enrichie par le talent d’improvisateur qu’on lui connaît. Et son génie d’imagier, de dramaturge, captivant narrateur qui féconde la Fantasie par des visions épiques (le galop de la mesure 138, plage 2 à 2’35), sulfureuses, hugoliennes : que d’instants où l’on songe à La Fin de Satan ! Ici, ce n’est pas l’abbé Liszt qu’on entend, mais le diabolique concertiste, l’auteur de la Sonate en si mineur, des fresques méphistophéliques de la Faust Symphonie.

Après les honneurs, placerait-on un cran en-dessous l’exécution du Ad nos, ad salutarem undam ? Malgré la rigueur de lecture, le discours semble d’abord neutralisé (après l’introduction, la tension s’organise avec parcimonie), aseptisé (a capriccio), versé aux sobres vasques néoclassiques (adagio) : un peu sécularisé, et pourtant privé de ces artifices théâtraux qu’évoque le livret ? Pour le spectacle, on s’en tiendra à Günther Kaunzinger à Waldsassen (Novalis). En dépit de son brio et son intelligibilité, l’orgue de la Philharmonie de Paris vient-il servir la chaleur du propos ? Le Rieger est certes une superbe réalisation contemporaine, mais tributaire d’un cahier des charges à œillères (son « concept tonal ne devait pas être calqué sur un style historique en particulier ») dont l’esthétique sonore parait impersonnelle et pauvre d’âme. De superbes témoignages comme Christian Schmitt à Lucerne (Ars Musici, juillet 2001) ont certes montré ce qu’on peut réussir dans une salle de concert, mais l’on peut préférer des factures plus typées, comme l’ardent Ladegast de Schwerin où Hans Jürgen Kaiser (SACD Brilliant, août 1997) et surtout Yves Rechsteiner (Alpha, septembre 2003) profitaient de ressources (ces fonds pulpeux, ces anches incomparablement spongieuses) plus propices à replanter cet opus-fleuve dans son terreau romantique. Reste une performance magistrale, « orchestrée » avec science (dommage que le livret taise les registrations), nourrie d’idées et phrasés très étudiés, virtuoses (la structuration de la fugue !), restituée avec tout le confort moderne (les gradations dynamiques, la stratification du crescendo final), qui aurait toutefois mérité une captation plus définie et transparente.

Les œuvres-phares de ce programme jouissent d’une conséquente discographie : pour les trois, on n’oubliera pas le couplage d’Helmut Deutsch à la console du Walcker / Schuke de Völklingen (Audite, juin 1993). Par le choix d’éditions alternatives, par son imagination et sa maestria, Olivier Latry y porte une empreinte qu’on n’oubliera pas, notamment son über B.A.C.H. expressionniste, contrasté à la Murnau.

Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 8-10

Christophe Steyne

 

 

 

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