Amazone : un magistral premier récital en solo pour Léa Desandre

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Amazone. Francesco Provenzale (1624-1704) : Lo schiavo di sua moglie, acte I scène 5 : « Non posso far ». ; acte I, scène 8 : « Lasciatemi morir, stelle crudeli ». Francesco Cavalli (1602-1676) : Ercole amante : Sinfonia, acte I. Giovanni Buonaventura Viviani (1638-c.1693) : Mitilene, regina delle amazzoni, acte III, scène 19 : « Muove il piè, furia d’Averno ». Giuseppe de Bottis (1678-1753) : Mitilene, regina delle amazzoni, Duetto : « Io piango/ Io peno » ; « Che farai misero core » ; « Lieti fiori, erbe orodose » ; « Sdegno all’armi, alle vendette ». Georg Caspar Schürmann (1672-1751) : Die getreue Alceste, acte I : Sinfonia pour la tempête ; acte I, Scène 2 : « Non ha fortuna il pianto mio ». Carlo Pallavicino (c.1630-1688), compl. Nicolaus Adam Strungk (1640-1700) : L’Antiope, acte III, Scène 15 : « Sdegni, fuori barbari » ; Scène finale : « Vieni, carri, volami in braccio ». Danican Philidor (1652-1730) : Les Amazones : Marche - Récits : « Venez, troupe guerrière » ; Duo : « Combattons, courrons à la gloire ». Louis Couperin (c.1626-1661) : Passacaille en do. André Cardinal Destouches (1672-1749) : Marthésie, première reine des Amazones, acte I, scène I : « Faible fierté, gloire impuissante » ; acte III, scène 5 : « Ô Mort, ô triste Mort ! » ; Postlude improvisé ; acte V : Scène finale : « Quel coup me réservait la colère céleste ? ». Marin Marais (1656-1728) : Suite d’un goûte étranger : XIV : L’Amériquaine. François Couperin (1668-1733) : Second Livre de pièces pour clavecin : 10ème Ordre en ré : VI. L’Amazone. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Ercole sul Termodonte RV 710 : Sinfonia : I. Allegro ; Sinfonia II : Andante ; Sinfonia III. Allegro ; acte II, Scène 1 : « Onde chiare, che sussurrate » ; acte III, Scène 8 : « Scenderò, volerò, griderò ». Léa Desandre, mezzo-soprano ; Cecilia Bartoli, mezzo-soprano ; Véronique Gens, soprano ; William Christie, clavecin. Jupiter, direction Thomas Dunford. 2020. Notice en français, en anglais et en allemand. Textes des airs avec traductions. 75.37. Erato 0190295065843. 

Le fantasme que représentent les Amazones est lié, selon Marion Bet qui signe une des deux notices de ce nouvel album Erato, à leur figure ambivalente : féroces guerrières sans magnanimité mais douées d’une prodigieuse détermination au combat, (elles) ont porté tous les lieux communs négatifs associés au féminisme tout en suscitant l’admiration des poètes. En regardant les photographies de la gracieuse Léa Desandre qui ornent le livret, on est loin de considérer qu’elle puisse correspondre à l’image que l’on se fait d’une « féroce guerrière ». Ce serait même tout à fait le contraire. Il faut donc aller au-delà de la représentation que ce peuple mythique véhicule dans l’imaginaire collectif pour saisir la portée du premier récital en solo de cette mezzo-soprano aux origines française et italienne. Ce qui nous permet de mieux cerner la réalisation d’un projet construit avec une fine intelligence, qui est avant tout, aux dires de l’artiste, à concevoir comme un hymne. Hymne aux femmes qui ont été les héroïnes de ses rêves d’enfants et des guides pour son émerveillement, hymne à la nature aussi et message poétique, universel et intemporel, d’un voyage sentimental et émotionnel. Les siècles nous séparent, le combat est le même : l’Amour du vivant, précise la cantatrice. Un hymne, qui est par essence l’expression de la joie et de l’enthousiasme, est avant tout une célébration. Chez Léa Desandre, il est en plus un message d’idéal. On comprend pourquoi on n’a qu’une envie, une fois achevée l’audition de cette superbe leçon vocale à laquelle on adhère sans réserve : y revenir, pour que la célébration se renouvelle et s’épanouisse, encore et encore.

Ce flamboyant programme est une pure merveille qui laisse dans le cœur et dans l’esprit une trace, longue et profonde, d’épanouissement. On connaissait déjà la voix délicieuse de Léa Desandre (°1993) grâce à diverses productions et à travers des enregistrements de Monteverdi, Gluck, Mozart, Haendel et quelques autres, mais cette fois il s’agit d’un récital en solo qui propose une quinzaine de pages inédites, soit presque toute la partie vocale. La figure féminine de l’Amazone, à la fois éprise de liberté mais aussi passionnée, est magnifiée par des extraits d’opéras de l’époque baroque, chantés en français ou en italien. 

Dès l’air très bref tiré de Lo schiavo di sua moglie de 1671 du Napolitain Francesco Provenzale, la cantatrice, qui exprime ici, avec des éclats de rire percutants, l’ardeur des femmes incapables de s’arracher aux combats, installe la densité expressive, la caractérisation colorée, le lyrisme impérieux, la virtuosité et la netteté de la diction. En 90 secondes, la puissance et la fragilité, la féminité et le charisme, l’aisance du timbre et l’exactitude des intentions sont de la partie. Ce sera ainsi jusqu’au bout d’une prestation qui laisse pantois. Car Léa Desandre est idéale dans chacun des airs choisis. Ceux-ci ont le mérite d’ouvrir des horizons insoupçonnés, vierges quant à leur disponibilité discographique, à l’exception d’Ercole sul Termodonte de 1723 de Vivaldi gravé par l’Europa galante de Fabio Biondi pour Virgin.  

On voudrait tout évoquer, tant la voix, irrésistible, ne cesse de faire la preuve d’un style noble, valeureux, brillant ou éminemment lyrique. On se régale avec les Français Destouches ou Philidor, qu’il s’agisse des débordements de la folie ou des appels aux combats pour la gloire, qu’accompagne, chez le dernier nommé, Véronique Gens dans un duo qui invite aux plaisirs les plus doux après la victoire. Véronique Gens ? Dans ce récital qui exalte le chant de Léa Desandre, la soprano a été invitée pour partager un air des Amazones philidoriennes de 1700, comme Cecilia Bartoli l’a été pour un duo d’amour tiré de Mitilene, regina delle amazzoni de Giuseppe de Bottis, qui date de 1707. On découvre ce compositeur rare et trois autres airs de son opéra que Léa Desandre détaille avec ravissement dans des expressions du cœur, des évocations des fleurs ou un amour tyrannique qui conduit à la vengeance. A quand une intégrale de ce qui apparaît comme une partition passionnante ? Du côté italien, on distinguera encore les notes aiguës de Vivaldi, les arabesques de Pallavicino ou les accents désespérés de Schürmann. L’énoncé des noms des compositeurs suffit à illustrer l’originalité d’une affiche qui tient toutes ses promesses. On y ajoutera le moment accordé à William Christie au clavecin dans une Passacaille de Louis Couperin ; le chef d’orchestre franco-américain a eu une telle importance dans l’enchaînement de la carrière de Léa Desandre, qui a accompli des tournées avec lui, que ces trois minutes ne sont pas insolites mais relèvent de l’évidence de l’hommage.

Quelques passages instrumentaux de Cavalli, Schürmann (une furieuse tempête), Marin Marais, François Couperin ou Vivaldi viennent s’intercaler comme des espaces de respiration, non pas pour la soliste qui n’en a guère besoin, mais pour le mélomane ébloui qui cherche à assimiler, autant que faire se peut, l’abondance des joyaux qu’on lui fait miroiter. Cet album est une parure mirifique à admirer séance tenante, d’autant plus que l’ensemble Jupiter mené par Thomas Dunford est tout à fait au diapason de la forme éclatante de la cantatrice. On englobera chaque instrumentiste (dont Jean Rondeau au clavecin) dans la réussite magistrale de ce feu d’artifice préparé avec Yannis François, qui avait déjà produit l’Alcione de Marin Marais. Léa Desandre avait participé en 2017 à cette aventure avec le Concert des Nations et Jordi Savall (Alia Vox). 

Pour couronner le tout, la qualité sonore de ce récital réalisé en septembre 2020 à la Chapelle Corneille de Rouen, est exemplaire, comme l’est la reproduction des textes de tous les airs, avec leur traduction en plusieurs langues. Après un tel étalage de son talent vocal, Léa Desandre mérite bien un « repos de la guerrière » que suggère sa position alanguie en double page centrale du livret.

Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 10  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

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