L’ONB au meilleur de sa forme

par

Andrey Boreyko

Fazil Say (°1970) : Concerto pour piano et orchestre n°3, op.11, « Silence of Anatolia »
Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto pour piano et orchestre en sol majeur
Nikolay Rimsky-Korsakov (1844-1908) : Shéhérazade, suite symphonique op.36

Orchestre National de Belgique, Andrey Boreyko, direction – Fazil Say, piano,

Après trois concerts en Allemagne, l’Orchestre National de Belgique revient pour une soirée à Bruxelles en compagnie du pianiste turc, Fazil Say. C’est avec le Concerto pour piano et orchestre n°3, « Silence of Anatolia » de Fazil Say que débute le concert. Dans cette pièce en quatre mouvements, se discernent immédiatement de nombreuses influences tirées de thèmes et motifs de chansons turques et d’autres caractéristiques proches du jazz, dans un langage libre et expressif, où l’auditeur est vite émerveillé par le haut degré de maturité et l’incroyable sincérité du langage. Le premier mouvement, Silence of Anatolia, est intégralement traversé d’une seule note sur laquelle se juxtaposent et se construisent de nombreux motifs. Obstinacy, le second mouvement, est davantage percutant et démontre une grande maîtrise du matériau orchestral et du piano, notamment lorsqu’il s’agit d'apposer les doigts sur les cordes, créant alors des sonorités exotiques surprenantes et en parfait contraste avec l’orchestre. Cadenza, mouvement pour piano solo, enchaîne avec le dernier mouvement, une Elegie, en réponse aux attaques terroristes du 11 septembre. Une longue page méditative qui, dans le contexte actuel, tombe à point nommé. Dès le premier mouvement, le pianiste comme l’orchestre captivent l’auditeur par une lecture des plus passionnantes. Le public a devant lui ce soir un orchestre rodé, en forme et qui n’hésite pas à aller dans le moindre détail. Fazil Say apporte une touche très personnelle avec un piano chantant, intime et libre. Lorsque Say joue, c’est toute l’humanité qui transcende son jeu, sincère et touchant. Cet état d’esprit se retrouve logiquement dans le Concerto en sol de Ravel. Trois mouvements à nouveau nourris de nombreuses influences, notamment du jazz, mais aussi des ambiances et atmosphères des Etats-Unis. C’est dans l’esprit d’une grande improvisation que Say développe son discours. Il s’approprie, s’empare de l’œuvre avec une telle simplicité qu’il offre au public une interprétation digne des plus grands. Andrey Boreyko dirige d’une main de maître l’œuvre, accompagne le soliste avec finesse et renvoie à l’orchestre, grâce à une baguette imagée et épurée, de nombreuses invitations à un mode de jeu plus libre et souple. Mais ce soir, c’est davantage la seconde partie du concert qui aura marqué les esprits avec une lecture époustouflante de Shéhérazade de Rimski-Korsakov. Jamais on n’aura vu l’ONB jouer avec autant d’enthousiasme et de brillance. Chacun des tableaux est abouti, précis, imagé, en un mot : exceptionnel. Du solo de basson, à nouveau très évocateur et expressif, au solo de violon fluide et sincère, on se plaît à vivre une histoire, plus précisément le conte des Mille et une nuits. Fait remarquable et pas toujours évident pour un chef, Boreyko joue de son orchestre. Il parvient à distiller au sein des pupitres une énergie ininterrompue au service de la partition et apporte à l’œuvre fraîcheur et grandeur tout en laissant la place et la liberté aux instrumentistes de se détacher d’une éventuelle contrainte rythmique. Notons une mise en place parfaite pour les cadences des vents dans le second mouvement où, d’un seul geste, le chef parvient à obtenir un son pianissimo inégalable, ainsi qu’une harpe séduisante et envoutante. Pari réussi pour le compositeur russe qui souhaitait « exciter l’imagination des auditeurs », on est là face à des couleurs éclatantes, une palette détaillée de dynamiques et des contrastes saisissants par un chef qui maîtrise parfaitement la partition et qui s’en détache pour tirer le meilleur de son orchestre. Bravo !
Ayrton Desimpelaere
Bruxelles, Palais des Beaux-arts, le 20 novembre 2015

Les commentaires sont clos.