Mahler à Lille : « Je mourrai pour vivre »

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Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°2 en ut mineur, « Résurrection »
Orchestre National de Lille, Jean-Claude Casadesus – Olena Tokar, soprano – Hermine Haselböck, mezzo-soprano – Chœur Philharmonique Tchèque de Brno

C’est avec l’un des grands temps-forts de la saison anniversaire que se termine la semaine à l’Orchestre National de Lille. La Symphonie n°2 « Résurrection » était au programme devant une salle comble malgré les évènements tragiques et stupides récents. C’est d’ailleurs par un discours fort et sincère que Jean-Claude Casadesus entame la soirée avant d'attaquer la Marseillaise : « Une barbarie aveugle et stupide ambitionne de nous mettre à genoux. Il est évident qu’elle se trompe lourdement. Les artistes sont porteurs d’une parole de liberté, d’une parole d’amour, et rien ni personne ne les fera jamais renoncer à leur mission de transmission, à leur désir de partage de ces indicibles émotions devant lesquelles chacun du plus favorisé au plus démuni est en communion de pensée et de cœur ». Comme le souligne ensuite le chef, la Symphonie n°2 de Mahler est étrangement prémonitoire : « cinq mouvements qui évoquent tour à tour la mort, une pensée nostalgique vers une pensée heureuse, l’incommunicabilité, un détour vers l’enfance, l’apocalypse mais surtout une transcendance pleine d’espoir qui a pour nom : Résurrection ». Pour ces deux soirées, Jean-Claude Casadesus s’est entouré d’une très belle distribution : la jeune soprano ukrainienne Olena Tokar (Grand Prix du Concours international Boris Gmyrya à Kiev, finaliste de compétitions comme le Concours Ferrucio Tagliavini ou le Concours mondial de chant BBC de Cardiff), la mezzo-soprano autrichienne Hermine Haselböck, grande interprète de lieder mais aussi de grands rôles d’opéras, et le non moins extraordinaire Chœur Philharmonique Tchèque de Brno. Autant dire que la soirée était attendue.
A presque 80 ans, Jean-Claude Casadesus dirige cette symphonie avec l’énergie qu’on lui connaît, avec cet amour de la musique transcendé par des gestes expressifs et évocateurs, mais surtout avec cette passion de la transmission qui l’anime. A aucun moment de la symphonie l’auditeur se sent égaré dans cette multitude de notes, motifs… Casadesus agit ce soir comme un peintre, affinant certains détails, laissant émerger un instrument ou au contraire diminuer la puissance de certains pour obtenir la meilleure balance possible et inévitablement une homogénéité parfaite. Outre quelques très légers accidents dans l’harmonie, sans doute liés à une fatigue « normale » après une telle semaine, on notera une forme de bienveillance dans la battue du chef, invitant les pupitres à chanter et à s’exprimer librement. A noter également une très belle mise en place, efficace et au service de la partition. Chez Mahler, on retrouve parfois dans un seule mesure cinq indications de dynamiques différentes : un crescendo pour le hautbois, un forte pour la flûte, un piano pour les cours ou encore un decrescendo pour les cordes. Il va sans dire que le chef ne peut donner toutes ces indications, mais le travail fait en amont prouve ce soir qu’il a été opérant puisque toutes ces dynamiques sont respectées. Chaque pupitre a été plus que convaincant ce soir : les cordes unies sur un seul fil avec une qualité d’archet exceptionnelle et un grain de son idéal ; les cuivres, par moment un peu forts, mais expressifs ; les bois toujours aussi chantants et enfin les percussions, animées et dynamiques à souhait. Surprise pour le public : les « backstages » pour les cuivres et percussions, amenant l’oreille à s’interroger sur la localisation des instruments. Les deux voix chantées apportent à l’œuvre un charme certain, du timbre intime d’Olena Tokar à la voix chaude d’Hermine Haselböck. Et que dire de l’incroyable chœur de Brno ? Timbre parfait, texte clair, homogénéité des pupitres, notamment des hommes, ahurissante. Leur première entrée aura très vite marqué les esprits et absorbé la concentration du public.
C’était une très belle symphonie, un temps-fort réussi et on ne peut qu’en espérer d’autres. Quoi de plus évocateur qu’un public debout à l’issue du concert ?
Ayrton Desimpelaere
Lille, Nouveau-Siècle, le 21 novembre 2015

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