L'opéra français aime les femmes

par
Scribe

Eugène Scribe ou Le Gynolâtre
par Noël BURCH
Dix-huit ans après la parution, à la Librairie Nizet, de l'ouvrage de Jean-Claude Yon ("Eugène Scribe, la fortune et la liberté"), sort ce petit livre de Noël Burch.
Petit, car ce n'est pas son propos de rivaliser avec la monographie fondamentale de Yon. Burch, spécialiste du cinéma, aborde l'oeuvre de Scribe sous un angle particulier : celui des rapports sociaux entre sexes. En analysant douze intrigues, il scrute la place de la femme dans les livrets écrits pour Rossini, Auber, Meyerbeer, Gounod (La Nonne sanglante), et Halévy. Ces études sont précédées de deux importants chapitres d'introduction à l'oeuvre de Scribe, souvent devenu "un synonyme de médiocrité académique et bourgeoise", alors qu'il est beaucoup plus complexe et plus diversifié qu'on ne le croit. Certes, il était populaire (c'est toujours mal vu), mais il est, avant tout, selon Burch, un auteur qui a "une vision pénétrante des moeurs bourgeoises". "Gynolâtrie" signifiant "adoration de la femme", il va suivre la trajectoire de ses héroïnes et, surtout, leurs relations avec les hommes-prédateurs. Si Rossini n'est servi que par Le Comte Ory, Auber sera décliné en rien moins que cinq opéras. Il est vrai que Scribe se voit souvent associé à la très longue carrière de l'auteur de La Muette de Portici. Au travers du Cheval de bronze (Peki) et des Diamants de la couronne (Catarina), il examine la question du pouvoir des femmes dans la société, pouvoir qui fascine les hommes. Centraux restent bien sûr, parangons du genre "Grand Opéra", les quatre Meyerbeer, et La Juive d'Halévy, dont l'analyse est particulièrement pertinente. Dans Les Huguenots, c'est "dans la mort seule que le fanatisme des hommes peut être dépassé". Le Prophète, peut-être le meilleur livret de Scribe, est ouvertement politique, et Burch a, en le commentant, cette réflexion désabusée : "La pensée profonde de Scribe était sans doute que les faiseurs de révolutions sont aussi cyniques que les détenteurs du pouvoir qu'ils combattent." Voilà qui rappelle la passionnante lecture qu'avait faite Jane F. Fulcher dans son livre "Le Grand Opéra en France : un art politique" (Belin, 1988). Pour résumer, Noël Burch étudie comment un honnête homme, quoique imprégné de la culture bourgeoise du XIXème siècle, a pu instiller des idées novatrices et courageuses dans des livrets d'opéras destinés à la même classe bourgeoise. Il a certainement ainsi contribué à l'évolution des moeurs, et, pour cela, mérite notre attention.
Bruno Peeters
2017, Editions Symétrie, Lyon, 207 p., 11 €

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