L’orgue romantique allemand, un captivant programme fédéré autour de Weimar

par

The Friend and Paragon. Carl Müller-Hartung (1834-1908) : Sonate no 2 en fa mineur. Johann Gottlob Töpfer (1791-1870) : Sonate en ré mineur Op. 15. Bernhard Sulze (1829-1889) : Fantaisie de concert en fa majeur Op. 63. Salomon Jadassohn (1831-1902) : Fantaisie en sol mineur Op. 95. August Gottfried Ritter (1811-1885) : Herr Gott, nun schleuss den Himmel auf ; Sonate no 2 en mi mineur Op. 19. Anna-Victoria Baltrusch, orgue. Juin 2021. Livret en allemand, anglais. TT 74’19. Audite 97.792

Un florilège autour du romantisme allemand, l’idée ne serait pas neuve. Ce CD se singularise toutefois en se focalisant sur des compositeurs liés à Weimar et à la personnalité emblématique de Franz Liszt qui avait contribué à établir la ville comme un foyer artistique majeur. Johann Gottlob Töpfer y enseigna et y fut organiste, Bernhard Sulze lui succéda à la console, August Gottfried Ritter y étudia avec Johann Nepomuk Hummel (1778-1837), Salomon Jadassohn auprès de Liszt, Carl Müller-Hartung y fut nommé Kirchenmusiksdirektors et fonda l’Académie de Musique. De surcroît, le programme a choisi des partitions relativement peu courues.

Parmi les compositeurs les moins méconnus, Ritter laissa quatre valeureuses sonates, toutes enregistrées par Ulrich Bremsteller (à Magdeburg en 1994), Markku Hietaharjju à Riga (1996), Ursula Philippi à Sibiu (chez MDG en 1998), Mickael Harris chez Priory en 2015, ainsi que par Massimo Gabba dans le cadre d’une intégrale de l’œuvre d’orgue chez Brilliant. On aurait imaginé que cette anthologie privilégiât la troisième sonate, dédiée à Liszt, et coulée en quatre épisodes, qui reste la plus jouée des quatre. Parmi une discographie régulièrement abondée, on relèvera Daniel Roth à Saint-Sulpice (Aeolus). Mais le programme a retenu la seconde en mi mineur, elle aussi soudée par ses séquences. Tout comme Ritter, Töpfer connaissait particulièrement les possibilités de l’instrument ; il reste d’ailleurs surtout connu comme théoricien et expert de la facture, au point d’inspirer les constructions des principaux organiers d’outre-Rhin, aussi notoires que Friedrich Ladegast, Wilhelm Sauer et Eberhard Friedrich Walcker. Au-delà de ses qualités esthétiques, son unique sonate fut d’ailleurs conçue pour tester les capacités d’un instrument, par exemple la régularité de l’alimentation en vent éprouvée par les accords répétés du Maestoso. L’œuvre a déjà connu la faveur des micros : Keith Johns à Fulda (Priory), Craig Cramer (Dulcian) ou Reinhardt Menger (FSM, juin 1992) qui proposa le premier enregistrement en CD, sur le Ladegast de l'église St. Johannis de Wernigerode.

Les trois autres invités brillent rarement dans les récitals. La sonate de Müller-Hartung se fonde sur le choral Wer nur den lieben Gott lässt walten, entendu en cantus firmus dans Im Zeitmass, puis prêtant trois motifs aux deux mouvements suivants, avant qu’ils se conjoignent en fugue. La Fantaisie de Bernhard Sulze décline des variations autour d’un air de crèche tiré de l’oratorio Christus de Liszt. On notera qu’Anna-Victoria Baltrusch respecte les registrations originales. Salomon Jadassohn se distingua au Conservatoire de Leipzig, et compta Edvard Grieg parmi ses élèves. Sensible aux évolutions harmoniques d’un Wagner, son écriture polyphonique demeure pourtant conventionnelle et dérive de Mendelssohn, comme on le vérifie dans sa Fantaisie cousue de contrepoint plutôt académique et parachevée par une double-fugue.

Tout récemment nommée à la Ulrichskirche de Halle, l’interprète aborde ici ces pages sur les tuyaux du Neumünster de Zürich, une cinquantaine de jeux sur trois claviers et pédalier, provenant de la voisine Tonhalle. Sa biographie en page 22 indique qu’elle cultive « un style caractérisé par une grande expressivité et une virtuosité pianistique ». On ne saurait mieux résumer cette prestation qui décante les registrations autant que possible, fluidifie les phrasés, ne s’embourbe jamais dans les passages chargés, et confère aux moments d’apparat toute la netteté et le brio qu’ils requièrent. D’autant que la captation ample, moelleuse mais intelligible sert chaleureusement cette élucidation. Qu’on écoute ainsi flamboyer le Rasch und feurig de Ritter, crépiter le final de la Sonate de Töpfer, ou mener à train d’enfer l’Allegro de Jadassohn ! Ceux qui assimileraient le germanisme post-mendelssohnien à un gruau lourd et pâteux en seront pour leurs frais. Par la même artiste, le label Audite vient de publier un album Liszt, on s’impatiente de vous en faire part.

Son : 9 – Livret : 8,5 – Répertoire : 7,5-9 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

 

 

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