La flûte de Mathilde Calderini élève les femmes sur le pavois
Avec elles. Cécile Chaminade (1857-1944) : Concertino pour flûte et piano. Claude Debussy (1862-1918) : La fille aux cheveux de lin pour flûte et piano, transcription par Roger Brison ; Bilitis : Six épigraphes antique, transcription par Karl Lenski ; Syrinx. Mel Bonis (1858-1937) : Sonate pour flûte et piano op. 64. Claude Arrieu (1903-1990) : Sonatine pour flûte et piano. Lise Borel (°1993) : Miroir pour flûte et piano. Francis Poulenc (1899-1963) : Sonate pour flûte et piano. Mathilde Calderini, flûte ; Aurèle Marthan, piano. 2023. Notice en français, en anglais et en allemand. 73’ 21’’. Alpha 1061.
Voici un album plein de grâce et de charme, qui est un hommage au répertoire français de la flûte depuis un peu plus d’un siècle, à travers un programme de pages composées ou inspirées par des femmes. Mathilde Calderini (°1989) précise : il s’agit de coups de cœur et de pièces qui m’ont accompagnée dans mon parcours de musicienne. Originaire de Thonon-les Bains, où elle a commencé ses études avant de les poursuivre à Chambéry puis à Paris, la jeune femme s’est perfectionnée à la Royal Academy of Music de Londres auprès du réputé William Bennett (1936-2022). Elle est lauréate de plusieurs compétitions, dont, en 2013, le Premier Prix du Concours international de flûte de Kobe, au Japon. Elle est aujourd’hui flûtiste solo à l’Orchestre Philharmonique de Radio France, après avoir occupé le même poste à l’Orchestre National de Lille. Elle pratique aussi la musique de chambre : elle a cofondé le quintette Ouranos, qui a gravé des albums pour NoMadMusic. Elle propose son récital avec Aurèle Marthan (°1986), qu’elle a connu lors de ses études parisiennes, et avec lequel elle collabore depuis une dizaine d’années. Ce pianiste, qui a participé au Concours Reine Elisabeth en 2016, est né en Nouvelle-Aquitaine, dans la commune de Guéthary, à laquelle il a consacré un album avec divers artistes, dont Mathilde Calderini (Alpha, 2022).
Le programme concerne quatre compositrices et deux créateurs. Du côté féminin, la première élue est Cécile Chaminade, avec son Concertino op. 107 de 1902 ; cette Parisienne fit une belle carrière de pianiste et écrivit d’agréables morceaux de salon. Sa pièce pour flûte et piano, dédiée au virtuose et chef d’orchestre Paul Taffanel (1844-1908), et destinée à un concours du Conservatoire, est ouvragée avec soin, et offre à la soliste un éventail de couleurs contrastées et de mélodies entrelacées. Cette exquise introduction est suivie par la Sonate op.64 de Mel Bonis, autre Parisienne, qui étudia avec César Franck. La qualité de son répertoire, abondant en musique de chambre, est bien illustrée par cette partition en quatre mouvements qui date de 1904. Baignée de romantisme tardif, elle s’épanouit dans un superbe Adagio, émouvant et fervent. Debussy n’est pas vraiment loin.
On découvre deux autres Parisiennes. Claude Arrieu (de son vrai nom Louise-Marie Simon), qui fut élève de Marguerite Long et de Paul Dukas et fit une partie de sa carrière à la Radiodiffusion française, est présente avec une Sonatine de 1943 en trois brefs mouvements, que créa Jean-Pierre Rampal ; d’une durée totale de cinq minutes, elle a un caractère léger et divertissant. Une compositrice de notre temps complète le quatuor féminin. Lise Borel a été sollicitée par Mathilde Calderini, qui souligne sa magnifique sensibilité. Son Miroir de 2023 offre à la flûte et au piano trois étapes marquées, d’après ses dires, « d’introspection, comme en une admirable progression ». En une petite dizaine de minutes, Lise Borel crée un univers à la fois libre et décontracté, mais aussi nostalgique, au sein duquel la flûte et le piano s’enrichissent mutuellement.
Mathilde Calderini est très à l’aise dans ces répertoires qui installent, à chaque fois, un plaisir d’écoute, la soliste ciselant chaque page avec un investissement raffiné et hautement sensible. Cette qualité se confirme dans les trois pages de Debussy intercalées entre ces morceaux féminins. La transcription de Roger Brison du huitième Prélude du Livre I, La Fille aux cheveux de lin, convient bien au style préraphaélite du natif de Saint-Germain-en-Laye ; celle des Six Épigraphes antiques, réalisée par Karl Lenski, résonne comme un retour aux sources de la version initiale de 1901, sur les traces des Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs, lorsque deux flûtes, deux harpes et un célesta saluaient la sensualité des textes pseudo-antiques de l’écrivain. Du Syrinx de 1914, dont l’ensorcellement agit toujours avec efficacité, Mathilde Calderini livre, avec une infinie élégance, toute la saveur pastorale et mythologique.
Ce programme, que nous avons déjà qualifié de gracieux et charmeur, se conclut par la superbe Sonate de Poulenc, autre Parisien de l’affiche. Composée en 1957 à la mémoire de la mécène américaine Elizabeth Coolidge, cette partition inspirée permet à la flûtiste de couronner sa prestation en soulignant la beauté des mélodies, le lyrisme et les aspects mélancoliques ou bondissants. Une très belle version pour un album des plus séduisants, auquel le piano d’Aurèle Marthan apporte toute sa part de complicité et d’unité organique.
Son : 9 Notice : 10 Répertoire : 10 Interprétation : 10
Jean Lacroix