Magie de haut vol à la Cour du Roi Soleil, Ercole Amante (Hercule amoureux)

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Vantardises d’Hercule suivi d’un chien-monstre verdâtre, éclosion de Vénus au milieu d’une fleur géante, facéties des pages, pleurs de Déjanire prolongés d’une interminable traîne, tout ce que l’on voit prête à rire. Vols planés, plongées sous terre, vagues de carton... dès le premier tableau du Prologue où seuls les visages dorés des choristes apparaissent dans les rayons du soleil, le public est pantois. Il le restera jusqu’au final où dieux, astres, roi Louis XIV et sa future épouse -pour lesquels l’œuvre avait été commandée à Cavalli par Mazarin- scintillent en une pyrotechnie formidablement réglée. L’ingéniosité règne, l’humour également, bon enfant, loin de la parodie ou de la dérision. D’autant plus efficace qu’un plateau agile, familier du style baroque, dirigé de main de maître par les metteurs en scène Valérie Lesort et Christian Hecq, s’approprie ce ton léger, ces blagues juvéniles, sans jamais négliger de servir la musique.

Cette excellente réalisation pour tous publics (durée de 3h30 avec entracte tout de même) reflète-t-elle -même de loin- les enjeux de l’histoire en général et de celle de l’opéra en particulier ? On peut sérieusement en douter. Le merveilleux ne se confond pas avec le « rigolo ». Or, c’est le merveilleux, à travers l’insolite, le bizarre et la beauté qui sont recherchés avant tout par l’art baroque afin d’accéder à une perception qui dépasse les apparences en passant par maintes métamorphoses (d’où le travestissement, les castrats, les machines). Ici, difficile de concevoir le sens recherché. Carence soulignée par des costumes sans implication autre que décorative -à l’exception de la tunique de la mort et rédemption du héros- ou grotesque (au sens ancien du mot), tel ce tableau de La grotte où un Sommeil obèse et difforme accapare péniblement l’attention tandis que son épouse Pasithée, rejointe par le chœur, chante la plus ravissante des berceuses « Murmurez, Ô ruisseaux, Soupirez, Ô zéphirs » (Scène 6 Acte II) justement célèbre. A l’opposé, la violence des situations est gentiment édulcorée. Et pourtant ! Pour l’une des premières fois dans l’opéra vénitien, un mort surgit de sa tombe (père de Iole jeune fille convoitée par Hercule) tandis qu’inceste, viol, suicide, abandon se multiplient. Il faut suivre le texte pour mesurer la cruauté des affrontements et le cynisme des personnages « Pourvu que tu jouisses, / Que t’importe donc/ Que ce soit par fraude ou par consentement » déclare ainsi froidement Vénus à l’acte III.

Enfin, du point de vue historique, on sait que Cavalli attendit en France deux années avant de voir représenté son opéra (créé le 7 février 1662, Salle des machines du Palais des Tuileries devant plus de 4000 spectateurs) et que Lully parvint à lui voler la vedette en saturant l’œuvre de ballets afin d’offrir au Roi de multiples occasions de danser. Salle Favart, les ballets (re)deviennent des jeux de scène secondaires, d’ailleurs fort habilement intégrés. C’est oublier que, si le roi se produisit lors de la création à chacune des 18 entrées de ballet, la vanité n’y avait guère de part. Comme la chasse, la guerre, l’architecture, il prenait très au sérieux l’art de la danse et, tout autant, son implication personnelle de souverain dans une conception religieuse de la place de l’homme au sein de l’univers, concrétisée par la danse.

Ayant donc réduite drastiquement la place des ballets, le chef Raphaël Pichon fait néanmoins surgir de son ensemble Pygmalion des émotions qui abolissent distance et temps. Il aime cette partition et la fait vivre pleinement. Tour à tour suave, puissante, dansante, majestueuse, ironique, l’action prend sa source dans l’orchestre, chœurs et chanteurs compris. Le choix d’une instrumentation calibrée se colore tour à tour de l’âpreté des sacqueboutes, de percussions sonnant tonnerre et éclairs ou d’un caressant continuo rejoint par des cordes fournies. Les orchestrations « sonnent » agréablement, réalisées sur la base de partitions existantes et connues. Les effets d’échos avec effectifs dans les loges ajoutent à la variété sonore. Disciple de Monteverdi, Pier Francesco Cavalli (1602-1676), représentant majeur de l’opéra napolitain du XVIIe siècle, explore volontiers le registre de la sensualité qu’il développe dans des duos et ensembles à la fois torrides et émouvants, caractéristiques de sa manière. Caractéristiques aussi, ses fabuleux « lamentos » où Déjanire, par exemple (« Misera, Ahimè, che ascolto »), sur un rythme de Passacaille, déploie une tristesse déchirante qui vaut à l’interprète Giuseppina Bridelli un tonnerre d’applaudissement aux saluts.

Toute la distribution, Hercule en tête (Nahuel Di Pierro qui fait généreusement admirer ses beaux graves) suivi d’une Junon hilarante costumée en paon (Anna Bonitatibus), Illo l’amoureux transi (Kristian Adam, ténor au chant élégant et merveilleusement phrasé), Iole (Francesca Aspromonte) et Vénus (Giulia Semenzato) actrices efficaces en dépit d’un timbre parfois affecté d’une légère acidité, avance d’un seul pas. Parmi les seconds rôles se détachent le Neptune de Luca Tittolo, Eugénie Lefèvre (Pasitea) et les personnages bouffes, dont Dominique Visse. D’une « voix en trois » (tête, parlando, medium), d’une présence à la fois précise, bizarre et mélancolique, ce dernier incarne finalement -et pourtant sans être travesti cette fois !- ce qu’il y a de plus authentiquement baroque dans la soirée. Chœurs et Orchestre Pygmalion habitent avec la même conviction cette musique frémissante de vie. Le dernier acte peut sembler un peu long mais comment faire des coupures dans des pages si belles ? Programme de salle aussi agréable et clair que savant. Un enchantement de plus à l’actif de l’Opéra Comique. La présence de célébrités du monde des arts et de la politique comme l’enthousiasme général en témoignent amplement.

 Bénédicte Palaux Simonnet

Crédits photographiques : S.Brion

 Opéra Comique, Paris 4 novembre 2019

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