A Genève, un nouveau Léman Lyriques Festival
A En ces jours-ci prend forme un nouveau festival, le Léman Lyriques Festival qui, en l’espace de quatre jours, se déroule entre Genève et Evian. Et son infatigable promoteur, le chef d’orchestre Daniel Kawka, dédie la première édition à Richard Wagner dont plusieurs pages sont mises en perspective avec la création contemporaine. L’ambition de transmettre un héritage aux jeunes générations fait naître aussi un partage culturel transfrontalier, car trente-quatre étudiants de la Haute Ecole de Musique (HEMU) de Genève viennent compléter les rangs de ‘Ose !’, l’orchestre symphonique de quatre-vingts jeunes musiciens professionnels français créé en 2013 par Daniel Kawka. Et le premier concert de cette double formation a eu lieu au Victoria Hall de Genève ce mercredi 6 novembre en présentant une création récente de Michael Jarrell encadrée par deux longues scènes de Tristan und Isolde et de Siegfried.
De Tristan est choisie la deuxième scène du deuxième acte, le fascinant duo d’amour impliquant l’Isolde de Petra Lang, le Tristan de Torsten Kerl et les interventions de la Brangäne de Marion Grange. Premier point : lorsque l’on a à disposition la voix de mezzo, pourquoi commencer par la redoutable houle introductive mettant à mal la cohésion des pupitres et obligeant la malheureuse Isolde à se cambrer pour émettre à froid son premier contre-ut fortissimo qui ne peut être que strident ? N’eût-il pas été plus judicieux de débuter par la seconde partie de la scène avec Brangäne à partir de « Meinst du Herrn Melot ? », ce qui aurait permis à la voix de soprano de s’échauffer ? N’oublions pas qu’en scène, la protagoniste chante depuis 90 minutes avant de parvenir à ce point crucial de la partition. Mais Petra Lang qui ne s’en laisse pas conter ‘assure’ avec son intrépidité coutumière et son émission en avant qui donne relief à sa diction. Torsten Kerl, son Tristan, fait valoir le métal cuivré de son timbre barytonant qui, peu à peu, donne une assise à leur duo, notamment dans le sublime « O sink hernieder », tandis que, de l’une des corbeilles surplombant le plateau, Marion Grange ne fait pas grand-chose de l’ « Einsam wachend » de Brangäne. Deuxième point : comment peut-on interrompre brutalement la dernière section « So starben wir, um ungetrennt » sur le fortissimo de « Liebeslust », laissé la patte en l’air, sans penser qu’un rallentando sur les mesures suivantes auraient produit un meilleur effet ?
Intervient ensuite la violoniste Hae-Sun Kang, soliste de l’Ensemble Intercontemporain qui est ici interprète de Des nuages et des brouillards de Michael Jarrell, œuvre concertante tripartite créée à Lausanne en janvier 2017. D’emblée, elle s’attaque à un solo périlleux à la virtuosité échevelée auquel répond le registre uni des cuivres qui brosse ensuite la toile de fond d’un lento méditatif dont les sons harmoniques laissent sourdre le mystère. Le recours aux extrémités de tessiture ramène le discours à un tempo rapide entrecoupé des soubresauts où le violon mène le jeu face à d’imposants blocs sonores. Et les spectateurs ovationnent particulièrement la soliste et le compositeur, manifestement touché par la qualité de l’exécution.
Et le concert s’achève par la dernière scène de Siegfried, bien plus convaincante que le duo d’amour de Tristan, avec un « Heil dir, Sonne » où la Brünnhilde de Petra Lang s’investit complètement en dardant de plein fouet ses aigus en une émission droite que soutient le Siegfried de Torsten Kerl avec son coloris mordoré même si, à l’instar de tous les interprètes du rôle, il se fatigue lourdement avec les ultimes « Leuchtende Liebe, lachender Tod ». Et là, Daniel Kawka et ses jeunes musiciens constituent une pâte orchestrale de meilleure consistance, ce dont le public se rend compte immédiatement en applaudissant bruyamment l’ensemble des exécutants.
Paul-André Demierre
Crédits photographiques : DR
Genève, Victoria Hall, le 6 novembre 2019