Maxime Zecchini face à Janáček et Korngold

par

Œuvres pour la main gauche, volume 8 : Leoš Janáček (1854-1928) : Capriccio pour piano main gauche et sept instruments à vent – Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) : Suite pour deux violons, violoncelle et piano main gauche op. 23. Maxime Zecchini, piano ; Lucie Humbert, flûte - Yohan Chetail et Daniel Diez Ruiz, trompettes - Nicolas Vazquez, Paul Manfrin et Sylvain Delvaux, trombones et Corentin Morvan, tuba (Janacek) ; Solistes du Quatuor Ellipse : Lyodoh Kaneko et Young-Eun Koo, violons et Marlène Rivière, violoncelle (Korngold). 2019. Livret en français et en anglais. 61.17. AD Vitam AV 190715.

Le pianiste français Maxime Zecchini propose le huitième volume d’un ambitieux projet initié en 2013 : une anthologie d’oeuvres pour piano main gauche en dix parutions. Dans les précédents numéros de la série, on a retrouvé les partitions bien connues de Ravel, Prokofiev et Britten (n° 4), mais aussi des pièces originales de divers compositeurs, de Bartok à Scriabine, de Fauré à Lipatti, de Saint-Saëns à Alkan, de Louvier à Mantovani, pour ne citer qu’eux, tout comme des transcriptions dues, entre autres, au pianiste autrichien naturalisé américain Paul Wittgenstein (1887-1961) qui avait perdu le bras droit pendant la première guerre mondiale et avait pour cette raison suscité un répertoire spécifique. 

Le Parisien Maxime Zecchini, né en 1979, a achevé son cycle de perfectionnement au Conservatoire Supérieur de Musique dans la classe de Jean-François Heisser. Il a remporté des distinctions lors de concours internationaux et donné des récitals dans une quarantaine de pays. Ce projet pour la main gauche est une première mondiale dans l’édition discographique. 

Dans ce volume 8, on découvre deux partitions de chambre peu courantes. La Suite de Korngold, Autrichien naturalisé Américain comme Wittgenstein, a été créée à Vienne le 21 octobre 1930. On sait que ce musicien, qui fut un enfant prodige et a connu un triomphe avec son opéra Die tote Stadt d’après le roman Bruges-la-Morte de Rodenbach, a fui le régime nazi avant de connaître le succès à Hollywood à travers de nombreuses et remarquables musiques de films, tout en poursuivant sa carrière de compositeur. Après la seconde guerre mondiale, son retour au pays natal connut moins de bonheur en raison d’un langage musical qui n’avait pas évolué et se situait dans la ligne du romantisme viennois. Cette Suite pour deux violons, violoncelle et piano main gauche, dédiée à Wittgenstein et donnée en première audition par ce dernier avec des membres du Quatuor Rosé, a la particularité de se passer de l’alto, ce qui donne à l’ensemble, comme le précise l’excellent livret « une couleur sonore toute particulière, assez grinçante ». La partie de piano comporte de nombreux passages en solo, d’une grande virtuosité, avec des changements d’atmosphère, des accélérations, des ralentissements, et une utilisation du clavier dans son entièreté. En cinq mouvements dont le second est une valse élégante, cette œuvre qui alterne les phases mélancoliques à ma sensation globale de sérénité est une belle découverte musicale. Elle est jouée avec noblesse par Zecchini et les trois instruments à cordes qui lui confèrent une hauteur de vue bienvenue.

Cette Suite de Korngold, en deuxième position dans le programme du CD, n’est pas interpellante comme le Capriccio de Janacek qui la précède et date de 1926. C’est le pianiste tchèque, né autrichien, Otakar Hollmann (1894-1967), qui avait étudié le violon mais avait perdu l’usage de sa main droite suite à une blessure de guerre et fut contraint d’abandonner l’archet pour le piano, qui sollicita le compositeur de Jenufa (Hollmann passa aussi commande à Martinu, Schulhoff ou Foerster). Après un refus quelque peu ironique,  Janáček s’exécuta. Le livret raconte les amusantes péripéties qui précédèrent la première qui eut lieu à Prague le 2 mars 1928, peu de mois avant le décès du créateur. La partition, à laquelle Janacek donna le sous-titre de « Vzdor » (« Défi », selon la correspondance que Janáček envoie à celle qu’il aime, Kamila Stösslova, « Défiance » selon le spécialiste Guy Erismann ou encore « Révolte », selon la biographe tchèque Milena Cernohorska), présente des côtés satiriques que les instrumentistes, dont les trombones à la partie difficile, ou la flûte qui fait piccolo, affrontent avec légèreté, humour ou dérision. Janáček n’a pas écrit une partition mettant en évidence le piano, il accorde à chaque vent une place spécifique, le tuba et les trompettes s’exprimant aussi de façon égalitaire au fil des atmosphères des quatre mouvements écrits dans une forme libre ; le premier et le quatrième ont des aspects de forme sonate. Cette belle découverte, attrayante par son côté vivace comme par ses côtés oniriques, avec des tendances expressionnistes, donne de Janáček une image inattendue, mais très séduisante. Les interprètes sont impeccables, de bout en bout.

Son : 9    Livret : 10   Répertoire : 10  Interprétation : 9   

Jean Lacroix

 

  

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.