Redécouverte d’un chef-d’œuvre
Antonio Salieri (1750-1825) : Tarare, opéra en un prologue et cinq actes. Cyrille Dubois, Karine Deshayes, Jean-Sébastien Bou, Judith van Wanroij, Enguerrand de Hys, Tassis Christoyannis, Jérôme Boutillier, Philippe-Nicolas Martin – Les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles (dir. Olivier Schneebeli) – Les Talens lyriqyes, Christophe Rousset, direction. 2019-DDD-3 CD (2h45)-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Apparté-AP208.
Friand des petits bijoux négligés voire oubliés, Christophe Rousset nous offre avec les Talens lyriques une lecture exceptionnelle de Tarare, opéra en un prologue et cinq actes de Salieri sur un livre de Beaumarchais. Jalousie, amour et haine sont au cœur de cette partition. Le soldat Tarare sauve la vie de son roi et en devient le chef de la milice. Marié à Astasie, il vit heureux au service des sujets du royaume. Attisant une frustration face au bonheur rayonnant de Tarare, Atar fait enlever Astasie qui devient alors Irza. Tarare, malheureux, sollicite du roi la levée d’une armée pour sauver sa bien-aimée et punir le ravisseur. Fin manipulateur, le roi accepte et ordonne secrètement à Altamort de suivre son chef de la milice et le tuer.
Péripéties, tensions, terreur et joie se succèdent ainsi à la suite d’un prologue où la vie des personnages du drame vient de La Nature et du Génie du Feu.
Christophe Rousset projette son idéal sonore et esthétique dans cette musique si vivante et injustement mise de côté. Tout sonne admirablement ici, grâce à des forces en présence de premier plan.
Cyrille Dubois est clairement un artiste abouti qui révèle un Tarare tantôt prévenant et amoureux de la vie, tantôt furibond. Il incarne les traits de caractère avec douceur et une certaine forme de bienveillance, de naïveté inhérente au personnage. Très grande maîtrise de la langue quel que soit le débit. Son épouse, Astasie, est personnifiée avec tout autant de charme par Karine Deshayes dont on souligne l’expression et l’intensité du texte par un timbre de voix remarquable aux graves somptueux et clairs. Une électricité entoure le personnage, lui conférant une forme de légèreté.
Jean-Sébastien Bou rehausse le personnage d’Atar par une voix noble et majestueuse. La manière dont il relie les mots et le flux qu’il distille entre eux séduit. Judith van Wanroij ouvre le bal avec La Nature dans le prologue puis en incarnant Spinette, une chanteuse napolitaine. C’est le tempérament qui parle ici. Une voix très large, dramatique à souhait, légère lorsque le contexte le demande où plus incisive à d’autres moments. Enguerrand de Hys s’offre un Calpigi à la projection idéale et au timbre direct en parfaite lignée du caractère insouciant et familier du personnage. Tassis Christoyannis, à travers trois personnages dont le Génie du Feu, offre une lecture finement ciselée. Jérôme Boutiller adopte une voix imposante dont la grande prestance donne de l’architecture à ses trois personnages. Sans oublier Philippe-Nicolas Martin, Marine Lafdal-Franc et Danaé Monnié dont les interventions ne manquent pas d’accentuer le niveau général excellent de cette production. Les Talens lyriques démontrent à nouveaux une grande maîtrise de ce répertoire. Le travail des atmosphères aux nombreux contours mélodiques ne manque pas de verve. La clairvoyance de Christophe Rousset sur les tempi et la manière de les articuler permet de répondre au mieux aux interventions solistes. Cette réactivité associée à la précision des couleurs donne à découvrir un orchestre pétulant aux multiples facettes. Quant aux Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles, entre homogénéité et souplesse, ils remplissent leur rôle avec un travail conséquent sur l’articulation des phrases et des couleurs. Ce travail d’orfèvre sur un répertoire méconnu fait réellement du bien dans le milieu où l’on ne peut qu’espérer que d’autres projets comme celui-ci voient le jour.
Ayrton Desimpelaere
Son 10 – Livret 10 – Répertoire 10 – Interprétation 10