Mayerling poursuit tranquillement son enracinement dans Garnier

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Alors que la fermeture du Palais Garnier pour travaux vient enfin d'être officialisée, d'aucuns noteront que certaines productions, pourtant récemment rentrées aux répertoires, pourraient elles aussi bénéficier d'une rénovation. Les liens de MacMillan avec la Grande Boutique ne sont au demeurant pas nouveaux ; la seule saison 78/79 -rappelons que Mayerling fut créé à Covent Garden le 14 février 1978- avait vu donner trois de ses œuvres avant que l'intéressé ne vienne personnellement remonter l'Histoire de Manon en 1990.

Tel ne fut hélas pas le sort de Mayerling qui attendit 30 ans après la mort de son démiurge pour arriver à l'ONP. Conséquence logique, il faut désormais traiter avec les ayants-droits et les modifications deviennent bien ardues -on note au demeurant que les dernières secondes du premier acte sont fort édulcorées par rapport à la version d'outre-Manche. Il y aurait pourtant fort à faire, tant cette production demeure par bien des aspects, notamment les lumières, étoffes et palettes chromatiques de Georgiadis et Pantani, un archétype londonien de son époque.

Paul Marque doit composer ce soir avec une double contrainte structurelle et conjoncturelle. D'une part car ce dernier est indubitablement davantage un Siegfried qu'un Rothbart ; un Lenski qu'un Oneguine. Conséquence logique, son interprétation de Rodolphe, plus princière que vénéneuse, met particulièrement en exergue l'écrasant carcan sociétal mettant à mal le jeune archiduc. D'autre part, on ne peut s'empêcher de se demander si l'étoile, que l'on sait ô combien brillante au demeurant, n'a pas quelques épisodes d'absence ce soir là ; en témoignent les approximations sur deux pirouettes durant le premier acte. Toujours exceptionnel de fiabilité dans les duos et portés, le second acte rappelle qu'il excelle également dans les manèges ainsi que les sauts les plus aériens. Dommage que les ultimes moments, où les aspects "jeune premier" ressortent particulièrement, accentués par les tonalités de la partition, renvoient davantage à l'impression d'un être perdu et écrasé par son propre destin, faisant fi des aspects du maniaque emporté par ses pulsions.

En Mary Vetsera, Hohyun Kang est simplement remarquable ; moins catalyseuse des fantasmes impériaux qu'agente active de la déchéance de son amant. Véritablement féline, parfaitement en place rythmiquement sans pour autant perdre une once d'intensité dramatique, elle épouse par ses mouvements les envolées lyriques de l'orchestre et plus particulièrement les attaques des cordes. Silvia Saint-Martin campe quant à elle ce soir une comtesse Marie Larisch tentatrice et très aérienne ; tout à fait crédible tant dans ses jeux de séduction que sa crainte causée par son altercation avec l'impératrice Elisabeth, interprétée par une Celia Drouy altière, toute en souplesse et remarquée d'expressivité tant faciale que gestuelle.

Parmi les autres seconds rôles, la princesse Stéphanie de Marine Ganio est une démonstration d'art dramatique. Parfois très légèrement approximative sur les tempi, les chutes sont en revanche toutes remarquables dans le final de l'acte I. En Mizzi Caspar, Clara Mousseigne, dont le plaisir est aussi manifeste que communicatif, est un fort bel exemple de ce que l'élégance de l'école française peut donner dans un solo néoclassique pourtant chorégraphié pour la ROH. L'inénarrable Francesco Mura campe un Bratfisch aussi joué et dégourdi, explosif dans les jambes, fort adroit avec son couvre-chef et convainquant dans l'épilogue. Le quarteron d'officiers de messieurs Conforti, Di Vico, Bellali et Lelli forme un ensemble cohérent et synchronisé, bien que le dernier paraisse moins sûr de ses appuis par instants. La scène de la taverne est l'occasion de retrouver un corps de ballet remarqué de mise en place nonobstant l'étroitesse du plateau.

Dans la fosse, Martin Yates passe le plus clair de son temps le nez dans la partition et ne semble pas avoir à effectuer de synchronisation avec les danseurs. SI l'on sait que les arrangements de Lanchberry -amendés par le maestro pour l'occasion- n'ont rien pour échauffer les sens, davantage d'enthousiasme et de précision dans la battue, notamment dans la fin de l'épilogue et la première scène, auraient aussi été bienvenus. La petite harmonie a d'ailleurs ce soir un rendu aigrelet dans le premier passage à trois temps avant que tout rentre dans l'ordre et il faudra attendre 33 minutes pour avoir une première envolée lyrique. Les soli de violon, assurés ce soir par Eric Lacrouts apportent quant à eux une chaire ainsi qu'un relief des plus bienvenus. Pour le seul rôle chanté de la soirée, Seray Pinar retrouve les planches de Garnier après l'Enfant et les Sortilèges. Malgré une légère avance sur le piano ainsi qu'une surprojection toute relative -il faut après tout bien sonoriser Garnier depuis le milieu du plateau-, la longueur de souffle et la diction sont en revanche de fort bonne tenue.

Paris, Palais Garnier, le 5 novembre 2024

Axel Driffort

Crédits photographiques : © Maria Helena Buckley / OnP


 

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