Merveilleux moment : L'Heure espagnole et Gianni Schicchi à Paris

par

© Eric Mahoudeau

Ravel et Puccini : Entre l'humour bohème de Montmartre et l'ironie sarcastique italienne, il y a beaucoup de points communs. A commencer par le goût de la Commedia dell' arte acclimatée en France sous le vocable « bouffe » ou « comique » revendiqué par Ravel. Puis, dans les deux cas, par une intrigue qui confronte le temps, la mort, les appétits matériels et charnels.
Par un milieu pittoresque et populaire aussi, où la mule et le muletier vont jouer un rôle décisif l'animal se révélant source de richesse, de prospérité et de fécondité (alors qu'il s'agit paradoxalement d'un animal stérile !)... Et où la « vraie » morale n'est pas celles des apparences, des institutions familiales ou religieuses mais celle de la vie qui va où elle veut. Quant au style, Ravel a témoigné plusieurs fois de sa profonde admiration pour Puccini. On sait qu'ils se sont trouvés à peu près au même moment à Vienne alors que Ravel venait de créer la version pour deux pianos de sa Valse et Puccini assister à son Trittico. Se sont-ils rencontrés ? Nul ne sait. En revanche sur la scène de la Bastille, elle réussit parfaitement, grâce à la mise en scène de Laurent Pelly reprise de celle de 2004. Elle parvient à potentialiser à la fois les ressources des livrets et l'éloquence musicale des deux partitions. Sans chercher midi à quatorze heure, inventive, drôle et fondée sur une efficace direction d'acteur, elle réalise cet ensemble, ce « tout » substance même de l'opéra. Ajoutons qu'une excellente distribution jointe à une direction d'orchestre (Maxime Pascal) aussi dynamique, qu'intelligente et claire, font ressortir l'allant, le style et la subtilité des coloris de chaque oeuvre. Plus de 100 ans après sa création, la modernité de Ravel stupéfie. L'insolite de son orchestration ne laisse jamais l'auditeur en repos, le séduit sans cesse pour le surprendre à nouveau. Bain de jouvence aussi que l'humour de Franc-Nohain qui permet à tous les publics de saisir, chacun à son degré, l'esprit farceur qui régnait à la Belle Époque autour du cabaret du « Chat noir ». Les interprètes s'y révèlent parfaitement '' en situation '', depuis le Torquemada plus chantant qu'un simple trial de Philippe Talbot, jusqu'au sensationnel Gonzalve-Elvis Presley belcantiste incarné par Stanislas de Barbeyrac, la Conception capiteuse à souhait de Clémentine Margaine sans oublier Nicolas Courjal (Don Inigo Gomez) et Jean-Luc Ballestera (Ramiro). Le final en devient pur enchantement. La pâte orchestrale change de texture avec Puccini. Les chanteurs aidés par la prosodie italienne, y '' lâchent les chevaux '' dans le sillage du flamboyant et généreux Vittorio Grigolo (Rinuccio). Elsa Dreisig offre une version touchante, fraîche et musicale du personnage de Lauretta tandis qu'Artur Rucinski (Gianni Schicchi) pourtant frêle de stature s'impose tant vocalement que dramatiquement avec finesse et autorité, entouré de partenaires qui jouent aussi bien qu'ils chantent. La proximité des deux œuvres ne leur nuit aucunement. Au contraire, elle en fait ressortir les saveurs singulières. Les représentations se donnent jusqu'au 17 juin. Il faut s'y précipiter !
Bénédicte Palaux Simonnet
Opéra National de Paris Bastille, le 19 mai 2018

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