Michael Spyres : un virtuose unique

par

Baritenor. Michael Spyres .Airs de Mozart, Méhul, Spontini, Rossini, Adam, Donizetti, Verdi, Thomas, Offenbach, Wagner, Leoncavallo, Lehar, Ravel, Orff, Korngold. Orchestre philharmonique de Strasbourg, direction : Marko Letonja. 2021. Notice de présentation en anglais, français, allemand.  84’30.  Erato. 0190295156664.

Baryton et ténor ? Ni ténor, ni baryton ? ... Taille  serait plus adéquat (voix masculine entre haute-contre et basse jusqu’au XIXe siècle) . Mais aussi... tessiture étendue, riche d’ aigus et  de graves sonores, colorature par la souplesse et la précision des ornements.  Si l’on y joint la justesse de style et la présence dramatique, on aura alors un portrait un peu plus approchant de Michaël Spyres, musicien de haut vol, protéiforme, curieux de tout, inclassable. Au zénith d’une brillante carrière à la scène,  il  présente ici un récital  éclectique à son image ;  pas moins de quinze compositeurs sur une période allant de Mozart à Carl Orff, avec une large place consacré au répertoire de langue française. 

Né dans l’ancienne Louisiane française qui comprenait alors l’État du Missouri, Michael Spyres manifeste en effet  une affinité remarquable avec le répertoire romantique français - grand opéra aussi bien qu’opéra comique comme ce fut le cas des Garcia, Malibran, Nourrit ou Laure Cinti-Damoreau (trop oubliée). 

Pour ce nouveau récital au disque qui s’ajoute à la vingtaine déjà gravés, il présente des pages rarement entendues. Ainsi de l’air extrait de  la Vestale  (Spontini) « Qu’ai-je vu ! Quels apprêts ! » ou de l’ Ariodant de Méhul « 0 Dieux ! Écoutez ma prière » où il apparaît drapé d’ une majesté digne du grand Talma, acteur favori de Bonaparte et modèle de Nourrit. On pourra glaner d’autres témoignages de Guillaume Tell , des Martyrs de Donizetti,  de La Nonne sanglante de Gounod ou des grands opéras de Meyerbeer dans sa discographie. Il ajoute ici une incarnation flamboyante et sombre d’Hamlet  (Ambroise Thomas) et met sa vaillance et sa bonne humeur au service du fringuant Postillon de Lonjumeau ( Adolphe Adam, commenté ici lors de sa création à l’Opéra comique). Des qualités qui font merveille dans La Fille du Régiment et prêtent à Danilo un charme irrésistible (Die lustige Witwe de Franz Lehar).  Métamorphosé en muletier de Ravel il trouve d’instinct ce ton si particulier fait de tact et d’ironie qui convient pour transporter les horloges et ravir la belle horlogère. C’est sans doute le personnage d’Hoffmann (« Va pour Kleinzach ! ») qu’Offenbach a voulu si composite qui lui offre l’ambiguïté de couleurs et de contrastes la plus proche de sa nature. Cette plasticité acquise à travers la fréquentation de Mozart et Rossini, enrichie de son goût pour la comédie musicale américaine - lointaine cousine de la commedia dell’ arte - témoigne d’une solide technique belcantiste ; Comme à ses débuts, il aborde ici Mozart sabre au clair. Le style est précis, l’intonation énergique, les vocalises d’une exactitude sidérante («  Fuor del mar » Idoménée). Le timbre naturellement charnu s’épaissit chez Verdi (Il Conte di Luna), Wagner (Lohengrin) jusqu’aux frontières du vérisme (Pagliacci, Leoncavallo). Il est toutefois permis d’avouer un faible pour les accents radieux de Tonio (Donizetti), du Postillon  (Adam) ou de Danilo. Pour conclure son récital, Michael Spyres a choisi les brumes symbolistes de « La Ville morte » de Korngold : il y déploie un phrasé ample, ondoyant, de toute beauté.

L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg se plie avec plus ou moins de bonheur et de raideur à ces tête-à -queue  stylistiques. Par ailleurs, les textes du livret  dont l’ordre n’a pas été vérifié prend des allures de salade russe. Dans la notice de présentation qu’il a lui-même rédigée Michael Spyres se réclame d’Andréa Nozzari et de Gilbert Duprez  (qui, avec son  « ut de poitrine » meurtrier, fit frisonner le public bourgeois sous Louis-Philippe). S’il possède la longueur de  tessiture du premier et le sérieux du second, il en diffère heureusement par la qualité de la voix en ce qui concerne Nozzari, et par une vraie technique belcantiste jointe à une présence scénique qui firent défaut au second, écourtant sa carrière. Dans la glorieuse litanie  assez hétéroclite de « modèles » qu’il cite, manquent bien des noms (d’Adolphe Nourrit à Neil Schicoff et d’autres d’hier ou d’aujourd’hui…). Qu’importent les comparaisons !  Qu’il continue seulement à faire resplendir ces répertoires, aussi somptueux qu’oubliés faute de chanteur de son calibre. La légende peut attendre.

Son : 10 Livert :  2 Répertoire :  10 Interprétation : 10  

Bénédicte Palaux Simonnet

 

 

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