Mises en scène de légende à Lyon

par
Elektra

Le Festival annuel de l’Opéra de Lyon s’appelle cette fois cette Mémoires car Serge Dorny, le Directeur Général, a voulu faire revivre pour les spectateurs de 2017 « trois spectacles qui ont marqué les dernières décennies, trois spectacles de créateurs aujourd’hui disparus et pourtant vivants : Elektra mis en scène par Ruth Berghaus en 1986, Tristan und Isolde par Heiner Müller en 1983 et L’Incoronazione di Poppea par Klaus Michael Grüber en 1999. 
Trois spectacles emblématiques de l’école théâtrale allemande de la fin du 20e siècle, conçus par des créateurs qui s’inscrivaient dans la lignée de Brecht ou de Felsenstein, tout en ayant tracé des chemins nouveaux, notamment à Berlin à la Schaubühne ou au Berliner Ensemble ».
Pour cette entreprise, l’Opéra de Lyon a réussi à réunir des proches collaborateurs des metteurs en scènes disparus et à engager pour les opéras de Strauss et Wagner le chef d’orchestre allemand Hartmut Haenchen qui dirigeait la création de l’Elektra de Ruth Berghaus à Dresde en 1986. La fosse du Semperoper de Dresde, à peine reconstruit, s’avérant trop exiguë (elle date d’avant l’époque de Richard Strauss), Hartmut Haenchen avait suggéré lui-même de placer l’orchestre sur la scène, surmonté d’une tour pour décor unique. Pour le décorateur Hans Dieter Schaal, la tour avait quelque chose d’une tour d’observation. Elektra, aspirant à la vengeance du meurtre de son père, regardait au loin (comme beaucoup de citoyens de la DDR !) et attendait son frère Oreste. Toute l’action se déroule donc aux différents étages de la tour et c’est dans la tour aussi qu’Elektra (serrée par les servantes dans une camisole de force ! symbole de son obsession de vengeance ?) est confrontée à sa sœur, à sa mère et finalement à son frère qui lui ôte les menottes. La puissance symbolique du décor est plus impressionnante que la direction d’acteurs, habillés par Marie-Luise Strandt dans des costumes intemporels et emprisonnés dans la structure de la tour qui fait penser à un grand plongeoir doté de plusieurs plateformes. C’est donc essentiellement l’interprétation vocale qui doit donner vie et expression aux personnages et là, le décor pose un problème : l’orchestre occupant la plus grande partie de la scène, les chanteurs sont éloignés et placés dans une cage de scène ouverte qui envoie les voix plus dans les cintres que dans la salle. L’Orchestre de l’Opéra de Lyon a toute opportunité de briller et Hartmut Haenchen le dirige d’une main vigoureuse et souple dans une course haletante, soignant les envolées lyriques et les moments intimes et variant les couleurs. Reste donc aux chanteurs à surmonter ce mur sonore tout en s’y intégrant ce qui leur est généralement bien réussi. Elena Pankratova, limitée dans ses mouvements par sa camisole de force, campe une Elektra attachante, nerveuse, décidée et déploie son ample soprano avec de belles nuances. Katrin Kapplusch est une Chrysothémis timide et gauche à la voix assez dure mais qui surmonte les écueils vocaux du rôle. La Clytemnestre de Lioba Braun est une femme encore jeune et fougueuse à la voix trop légère et claire pour le personnage. Christof Fischesser donne noblesse scénique et vocale à Oreste et Thomas Piffka campe un Egisthe valable. Bonne prestations des rôles secondaires.

Tristan
Photo de répétition de Tristan et Isolde © Bertrand Stofleth

Pour Tristan und Isolde, l’orchestre est retourné dans la fosse mais joue aussi impeccable- ment que sur la scène. La direction de Hartmut Haenchen est par contre moins convaincante. Le chef chevronné, qui connait la partition de Wagner à fond et s’est fort consacré à la question des tempi, propose une interprétation cohérente mais peu inspirée, à commencer par l’introduction du premier acte qui manque d’élan et de souffle dramatique. Au cours de la soirée, il crée pourtant un bel équilibre qui culmine dans un troisième acte et un final émouvants. Dans sa mise en scène, Heiner Müller n’a pas essayé d’actualiser l’opéra car, pour lui, Tristan und Isolde est « la description archétypale entre amour et politique ». Il a installé une conduite formelle précise où chaque geste est important, sur fond du décor de Erich Wonder (recréé par Kaspar Glarner) : de sobres espaces carrés et des jeux de lumières (Manfred Voss, recréés par Ulrich Niepel) et des costumes de Yohji Yamamoto. Et il y a ce deuxième acte inoubliable où Tristan et Isolde se retrouvent parmi les rangées de cuirasses dans une lumière bleu sombre. Trop statique ? Peut-être mais intemporel et sans jamais trahir l’œuvre (ce qui arrive trop souvent aujourd’hui !). La construction des figures de Müller est bien communiquée par la distribution de Lyon qui y a ajouté des touches personnelles. Ann Petersen présente une belle composition d’Isolde, princesse altière et blessée mais surtout femme aimante. Bien qu’annoncée souffrante, elle a chanté le rôle d’une voix claire et puissante, peut être parfois un peu dure dans les aigus mais capable aussi de nuances subtiles et de vraie émotion. Daniel Kirsch est moins convaincant en Tristan : peu de stature et projection faible d’une voix de ténor sans métal ou brillance. Il semble avoir réservé ses forces pour le redoutable troisième acte où il se donne à fond. Brangäne trouve une interprète expressive en Eve-Maud Hubeaux, voix ample et bien timbrée avec une projection du texte exemplaire. Christof Fischesser confère autorité et humanité au Roi Marke de sa voix de basse sonore et Alejandro Marco-Buhrmester (également annoncé souffrant) campe un Kurwenal vaillant, d’une belle intensité vocale et dramatique. Bonne prestation aussi de Thomas Piffka (Melot) et de Patrick Gral et Paolo Stupenengo.

Couronnement de Poppée
Photo de répétition, Le Couronnement de Poppée (© Jean-Louis Fernandez)

L’Incoronazione di Poppea de Monteverdi, dans la mise en scène de Klaus Michael Grüber (réalisée par Ellen Hammer) s’offrait au Théâtre National Populaire de Villeurbanne (après une première série à l’Opéra de Vichy). Les décors de Gilles Aillaud ont été récréés par Bernard Michel, les costumes étaient de Rudy Sabounghi et les lumières de Dominique Borrini. Ensemble, ils présentent un spectacle simple mais séduisant, plutôt traditionnel et illustratif, dans un cadre sobre, pittoresque et charmant, interprété par de jeunes chanteurs solistes du Studio de l’Opéra de Lyon sous la direction artistique de Jean-Paul Fouchécourt qui, en 1999, était Arnalta dans la distribution d’Aix en Provence. Nous avons pu redécouvrir la version (à coupures) de Grüber qui laisse les personnages agir au gré des sentiments, sans actualisation ou distanciement, avec la grâce et la fraîcheur de solistes venus des quatre coins du monde et souvent déjà engagés dans la carrière. Laura Zigmantaite, mezzo claire, campe un Nerone amoureux et décidé en face de la Poppea de la gracieuse Emilie Rose Bry au soprano un peu pincé qui danse son rôle presque plus qu’elle ne le joue. Elli Vallinoja confère sa noblesse à Ottavia, d’une voix expressive mais au timbre trop clair. Josephine Göhmann est excellente en Drusilla et Virtu mais l’Ottone androgyne d’Aline Kostrewa est trop discret car la voix manque de puissance. Bonne prestation de Pawel Kolodziej (Seneca) et Arnalta éblouissant d’André Gas. Les autres rôles et emplois multiples sont généralement bien tenus et tous s’engagent à fond. Sébastien d’Hérin dirige l’Ensemble « Les Nouveau Caractères » dans une exécution de belle sonorité mais trop peu contrastée et manquant d’élan dramatique.
Erna Metdepenninghen
Lyon, Festival Mémoire, les 17, 18 et 19 mars 2017

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.