I Puritani à Liège : deux voix derrière un voile
Créé en 1835, « I Puritani » est le dernier opéra de Vincenzo Bellini, bientôt emporté par une maladie fulgurante alors qu’il n’a que 34 ans. Après « Norma » et « La Sonnambula », c’est une œuvre de grande maturité lyrique et d’une incroyable exigence interprétative.
Le titre ne doit pas nous égarer : le contexte historique est bien celui du conflit qui opposa en Angleterre au XVIIe siècle les Puritains, partisans de Cromwell, aux Cavaliers, ceux des Stuart, mais il n’est là que pour huiler les rouages d’une mécanique dramatique. L’essentiel est ailleurs, dans une histoire d’amour réciproque et difficile à faire reconnaître (Elvira, fille de Puritain, aime le royaliste Arturo), de fidélité au risque de soi-même (celui-ci la quitte pour sauver Enrichetta, la veuve menacée du roi décapité), de sentiment de trahison et de la folie qui en résulte chez Elvira. D’immenses sentiments exacerbés. Ceux qui conviennent parfaitement aux déferlements lyriques. Et donc à la mise au défi du talent des interprètes. Et donc au bonheur des lyricophiles !
On considère que les rôles d’Elvira et d’Arturo sont parmi les plus difficiles du répertoire. Quand ils sont justement interprétés, ils sont de ces airs qui donnent la chair de poule et suscitent les ovations. Zuzana Marková (Elvira) et Lawrence Brownlee (Arturo) n’ont pas déçu les attentes : en toute virtuosité expressive, ils se sont joués des péripéties de leurs partitions, y ajoutant un engagement scénique qui a rendu leurs personnages absolument convaincants. Chair de poule et ovations !
Pour cet opéra, on va aussi jusqu’à parler du « Quatuor des Puritains » dans la mesure où les deux autres rôles masculins principaux – ceux du rival amoureux Riccardo et de l’oncle Sir Giorgio – sont également périlleux. L’autre soir, Mario Cassi et Luca Dall’Amico ne les ont pas transcendés.
Quant à la mise en scène, elle m’a laissé plutôt perplexe : Vincent Boussard installe tout ce beau monde sur une sorte de place entourée d’un grand bâtiment à deux étages de galeries (idéales pour y installer le chœur imposant). On accède par des échelles à son premier étage : les deux héros - sans peur de glisser - s’y mettront en vue. Mais pourquoi avoir si longtemps séparé le plateau de la salle par un grand voile (oui, nécessaire à quelques projections, mais celles-ci – gouttes de pluie, papillon, éruption volcanique - sont-elles vraiment nécessaires) ? Pourquoi aussi ce piano, sur lequel vient s’étendre Elvira, et dont le couvercle monte aux cintres (des collègues m’ont dit reconnaître celui déjà utilisé par Boussard dans un « Pêcheurs de Perles » à Strasbourg) ? Il distrait plutôt que de focaliser l’intérêt. La mis en espace des interprètes est statique. Il y a aussi un personnage muet, une sorte d’agent du destin, qui va çà et là, ponctuant les évolutions de l’action. Impression de déjà vu, d’autant qu’on peut s’interroger sur son impact réel. Lui aussi distrait. Quant aux mises en perspective ou en abîme : images de la tombe de Bellini durant l’ouverture, saluts des interprètes en réponse aux applaudissements du chœur, nous n’en avons pas bien saisi la pertinence dramaturgique. Dans ces cas-là, on souligne que les costumes sont de Christian Lacroix : belles robes en effet pour Elvira et les choristes, quant aux redingotes et chapeaux hauts des autres, ils sont bien ajustés…
Speranza Scappucci, qui propose la version intégrale de l’opéra, manifeste de nouveau son aisance à rendre justice, en toute sérénité, à une partition qu’elle a manifestement interrogée.
Je n’oublierai pas la scène des retrouvailles des deux amants à l’acte III.
Opéra de Liège – 22 juin 2019
Stéphane Gilbart
Crédits photographiques : Opéra Royal de Wallonie-Liège