On n'entendra jamais le Requiem de Mozart

par
Requiem Jacobs

Wolfgang Amadeus MOZART
(1756 - 1791)
Requiem K. 626 (complétion Franz Xaver Süssmayr/Pierre-Henry Dutron, 2016)
Sophie Karthaüser (sop.), Marie-Claude Chappuis (alto), Maximilian Schmitt (tén.), Johannes Weisser (bar.), RIAS Kammerchor, Freiburger Barockorchester, dir.: René Jacobs
2017-DDD-46'01''-Textes de présentation en français, anglais et allemand-Harmonia Mundi HMM 902291

René Jacobs aime revisiter les partitions. On sait combien l'important travail de Süssmayer est contesté pour "la médiocrité de sa complétion"; aussi voit-on musicologues et interprètes s'atteler à la tâche. Et pourtant, le Requiem "de Mozart" garde tous les suffrages. Est-ce dû au mystère qui entoure le commanditaire, un filon bien exploité dans la littérature et au cinéma ? 
Reprenons donc l'histoire en bref : au début de l'été 1791, soit cinq mois avant sa mort, Mozart reçoit la commande anonyme d'une Messe de Requiem pour le montant de 50 ducats, bienvenus en une période de difficultés financières. Travaillant alors sur la Flûte Enchantée que suivra La Clémence de Titus qui fait aussi l'objet d'une commande, Mozart remet à plus tard la réalisation du Requiem. La mort le surprendra alors qu'il n'a pu réaliser complètement que la première pièce sur quatorze, le Requiem Aeternam de l'Introït. Du Kyrie à l'Hostias de l'Offertoire, Mozart a réalisé les lignes vocales et quelques fragments d'orchestre dont la basse continue est partiellement chiffrée: il reste donc à en réaliser le travail d'orchestration. Ensuite, du Sanctus à la fin du Requiem, tout reste à faire, soit toute la partie de l'Ordinaire et de la Communion, environ le dernier tiers de l'ensemble. Afin d'honorer la commande, Constanze Mozart, en situation financière délicate et qui attend un nouvel enfant, cherche qui pourrait achever la partition. Une hypothèse suggère qu'elle se serait tournée vers Franz Jacob Freystädtler, un élève de Mozart ; une hypothèse démentie en 2007 par David Ian Black. Demande serait faite ensuite à Joseph Leopold Eybler qui n'irait pas très loin dans le travail ; la partition poursuit son chemin aux mains de Maximilian Stadler qui n'alla pas beaucoup plus loin. Mais le temps presse... Début janvier, Constanze s'adresse à Franz Xaver Süssmayr, un compositeur de 25 ans, élève de Salieri -et non de Mozart comme souvent signalé- qui a de temps à autre aidé Mozart pour l'écriture de récitatifs. Voilà donc le Requiem achevé, la commande honorée, et c'est cette partition Mozart/Süssmayr qui fit vivre l'oeuvre jusqu'il y a peu.   
En 2016, Pierre-Henri Dutron, un jeune compositeur français passionné et poursuivi par l'idée que la version Süssmayer comporte de nombreuses erreurs et gaucheries tant dans l'écriture que dans l'orchestration, propose à René Jacobs "sa" complétion où il a tenté d'améliorer les pièces de Süssmayer et complété l'orchestration de l'ensemble, visant à en "rehausser la saveur plutôt qu'en atténuer les aspérités". Cette version Mozart / Süssmayer / Dutron fut donnée lors de cinq concerts européens en novembre 2016 et nous la retrouvons aujourd'hui au disque. 
Est-ce un grand chambardement ? Non. Un rehaussement de la saveur ? Peut-être. Un atténuement des aspérités ? Oui. Passons à l'écoute.
Dans le Kyrie, Dutron laisse moins de place aux deux cors de basset que Süssmayer n'avait pas traités avec grande subtilité ; dans le Dies Irae, il ajoute deux trompettes naturelles du plus bel effet ; dans le Tuba mirum, les bois d'ajoutent au trombone ténor tandis qu'il développe les cordes par des motifs ajoutés ; le Rex Tremendae est peu modifié ; dans le Recordare, Dutron assouplit le jeu des cordes sur l'ostinato ; le jeu des timbales est renforcé dans le Confutatis et, dans le Lacrimosa -dont Mozart n'a laissé que huit mesures- Dutron joue sur la répartition choeur-solistes, tandis que le Domine Jesu est entièrement confié au choeur. Peu de changements dans le Hostias
Nous voici arrivés à la dernière partie où on ne parle plus de Mozart mais de Süssmayer. Ici, les changements se font entendre davantage. 
Dans le Sanctus, le mouvement des cordes est assoupli, les batteries de double croches ne sont jouées qu'aux altos et, dans les parties fuguées de l'Osanna où les bassons doublaient les voix, colla parte, chez Süssmayer, Dutron retarde l'entrée des bois, donnant aux voix toute leur ardeur. Dans le Benedictus, on est sensible au côté tragique qu'apportent les cors de basset répondant aux voix et la ligne mélodique est transformée, assouplie par les sopranos qui entrent -les altos chez Süssmayer- accompagnées des ténors, les bois entrent plus tard et leurs interventions, doublant çà et là les voix, sont allégées. Les changements sont surtout opérés dans la répartition des voix de l'Agnus Dei et l'écriture des violons qui serpentent de façon modulante à travers les voix; c'est du plus bel effet. Ces changements d'écriture, on les retrouve aussi dans le jeu des cors de basset, des bassons et des cordes du Lux Aeterna. Avec le Cum Sanctis Tuis, le Requiem se clôt sur la reprise du Kyrie, inchangé, que l'on pourrait interpréter comme un hommage à Jean-Sébastien Bach dont Mozart découvrait l'oeuvre aux côtés de celle de Haendel à l'époque de son Requiem. C'est ainsi que dans le copieux texte du livret, Pierre-Henri Dutron parle du style nouveau chez Mozart caractérisé par "un resserrement du matériau à sa plus simple expression et un rapport grandissant à l'écriture contrapuntique, notamment au genre de la fugue". Quant au caractère nouveau du style de Mozart qu'aurait pu signer le Requiem, René Jacobs cautionne une phrase que Constanze aurait dite à propos de son mari: "Le style du pathétique sublime dans la musique d'église a toujours été la marque de son génie". Le "pathétique sublime" : la peur, l'effroi et l'accablante tristesse. Autant de concepts qui s'accordent bien à l'âme du chef dans l'extraversion. 
On retiendra une expérience intéressante. Mais de nombreuses subtilités m'auront sans nul doute échappé. Un moment dans le parcours du Requiem de Mozart. Du plateau vocal, on retiendra surtout les voix féminines. 
Bernadette Beyne

Son 10 - Livret 10 - Répertoire 8 - Interprétation 8

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