Opera Fuoco & David Stern dans Serse de Händel

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Et si, pour une fois dans un article sur l'opéra, on commençait par la phalange vocale et instrumentale ? Plus fantasques que réelles, plus extravagantes qu'honnêtes, les mises en scène d'aujourd'hui ont tout ce qu'il faut pour plaire ou pour choquer. La toute nouvelle version de Serse de Händel, montée par l'Opera Fuoco et David Stern pour le Beijing Music Festival (octobre 2019), sort parfaitement de ses problématiques. Présentée en version de concert à la Salle Ravel de Levallois, où la compagnie est en résidence, la Serse de l'Opera Fuoco a proposé de revenir à l'essentiel de l'opéra : la voix. Pas de décoration grandiloquente, pas de transposition de sujet sur la lune ou le cosmos, rien que la voix et la parfaite cohésion entre le chef et ses musiciens sur la scène tout comme dans la fosse d'orchestre.


Ce mois-ci, l'Opera Fuoco a montré, déjà à deux reprises, l'ambition et les capacités extraordinaires de ses jeunes recrues. Désormais tout le monde connaît Adèle Charvet qui a « sauvé » le Messie à Radio France, devenant ainsi la nouvelle star classique des médias. Actuellement en préparation pour sa prise de rôle-titre de Serse en Chine, la mezzo-soprano a été pourtant annoncée souffrante juste avant le début de la représentation, unique en France. C'est Alexia Macbeth, une autre protégée de David Stern, qui l'a donc remplacé au pied levé dans le rôle de Serse. Malgré la partition placée sur le pupitre (car la chanteuse n'avait que deux jours pour l'apprendre), son «Ombra mai fu» a ouvert avec assurance la soirée. Peu mobile tout au long de l'opéra en raison de sa partition placée sur le pupitre, la voix d'Alexia Macbeth a résolument bien servi pour incarner le caractère opiniâtre et héroïque du roi Serse, ramené à la raison seulement à la toute fin de l'œuvre suite aux menaces de suicide d'Amastre, éperdue de douleur à cause de l'infidélité de Serse.

Sans entrer trop en détail dans l'histoire de l'opéra, bien trop confuse (le célèbre voyageur et musicographe Charles Burney considérait le livret de l'opéra comme l’un des plus mauvais que Händel ait mis en musique), il faut juste préciser que de multiples intrigues et triangles amoureux créent déjà une dynamique importante. Grâce aux multiples entrées et sorties des personnages, l'action est toujours véhiculée sans céder à la monotonie. Si certains solistes se sont accommodés (parfois un peu trop) de la formule de l'opéra en version concert, pour d’autres, cette restriction n'a pas été prétexte à s'enfermer dans l'espace de l'avant-scène où étaient chantés la plupart des airs.

Dania El Zein et William Shelton ont incarné le couple de tourtereaux (Romilda et Arsamene). Si au niveau vocal les deux solistes ont convaincu le public (on pense notamment aux aigus en piano de Dania El Zein, sans rien perdre en puissance), c'est leur prise de rôle qui manquait de drame et de prise de risques pour rendre leurs caractères plus attachants. Le caractère tragique de la princesse Amastre (fiancée bafouée de Serse), incarnée par la magnifique Anne-Lise Polchlopek, a laissé s'épanouir sa voix timbrée dans les airs comme «Se cangio spoglia» et «Anima infida» où la chanteuse n'a pas hésité à sortir du registre purement chanté afin d'exprimer sa misère d'une manière encore plus convaincante.

Et les autres caractères secondaires n'étaient pas si accessoires. Olivier Gourdy (Elviro, serviteur d'Arsamene) a donné vie au côté bouffe de l'opéra, qui a par ailleurs irrité Charles Burney par son mélange de tragi-comique dans un opéra dit seria. Atalante de Raffaela Lintl (sœur intrigante de Romilda) a été pleine de candeur et Ariodate, chanté par Adrien Fournaison, plein de droiture tant par sa pose que par sa parfaite diction.

Le charisme de David Stern était présent dans chaque moment de Serse dont l'exécution brillante, destinée au public chinois, a de quoi susciter l’envie des spectateurs français, privés en grande partie de cette nouvelle version de l'opéra. La tournée de l'Opera Fuoco et de David Stern conduira l'ensemble à Pékin, Shenzhen et Nangjing. Il ne reste qu'à leur souhaiter un bon voyage et patienter jusqu'à la prochaine programmation des nouvelles productions de l'Opera Fuoco et David Stern qui, comme on le sait déjà, n'hésitent pas à s'aventurer aussi au-delà du répertoire traditionnel.

Gabriele Slizyte

Crédits photographiques : www.davidstern.com

Levallois, Salle Ravel, le 12 octobre 2019

 

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