Frédéric Vitteaud, régisseur général de l'OPMC

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Crescendo Magazine poursuit sa rencontre avec les métiers de la musique. Après Mathilde Serraille, bibliothécaire au Melbourne Symphony Orchestra, cette nouvelle étape nous emmène à la découverte du métier de régisseur général avec Frédéric Vitteaud, titulaire de cette fonction auprès de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, l’un des grands orchestres européens, phalange qui assure la saison symphonique et les services d’opéras et de ballet monégasques et que l’on retrouve régulièrement en tournée à travers le monde.

Vous êtes régisseur général de l’Orchestre Philharmonique de Monte Carlo ? Comment vous êtes-vous orienté vers ce métier ?

Depuis toujours, j’ai voulu travailler dans le milieu la musique. Le brevet de technicien des Métiers de la Musique (BT Musique) proposé par le Lycée de Sèvres et les enseignements précieux qui y étaient dispensés par Gilbert Villedieu et Jeanne Lachaux m’offraient cette orientation ainsi que beaucoup d’autres dans le domaine du spectacle.

Après le lycée, je suis allé en musicologie. A l’époque je prenais encore des cours au conservatoire et l’un de mes professeurs, Jo Capolongo, m’a dit « qu’on recherchait quelqu’un chez Colonne ». Je pensais qu’il s’agissait d’un job occasionnel les soirs de concerts, mais l’Orchestre Colonne m’a rapidement proposé un engagement de plusieurs mois et comme je m’ennuyais un peu en musicologie, j’ai accepté.

Après deux ans chez Colonne (ou on apprend à tout faire !), j’ai travaillé comme intermittent pendant 6 ans dans les grands orchestres de la capitale, à Radio-France, à l’Orchestre de Paris, à Bastille et àGarnier. J’ai aussi collaboré avec l’Orchestre du Capitole de Toulouse, notamment en leur procurant tous les instruments et les pupitres lors de leur venue à Paris en novembre 1996, lorsque les routiers avaient bloqué les routes. A la même époque, j’ai aussi un peu aidé aux débuts du Festival de Pâques de Deauville.

Pierre Barrois m’a ensuite confié la direction technique de l’OFJ. C’est lors de sessions de l’OFJ avec Marek Janowski -que je connaissais déjà assez bien du Philhar- que le Maître m’a conseillé de postuler à Monte-Carlo où il venait d’être nommé et où un poste allait bientôt se libérer. Marek Janowski a quitté Monte-Carlo quelques années plus tard et moi je suis resté.

L’OPMC est un orchestre qui joue beaucoup, alternant la fosse de l’opéra et les concerts symphoniques entre 3 salles : l’Auditorium Rainier III, le Forum Grimaldi et l’Opéra Garnier. Qu’est-ce que cela implique dans votre travail quotidien ?

Les outils numériques nous permettent aujourd’hui de contourner facilement le fait de ne pas être physiquement présent au bureau. Cela dit, nous avons la chance à Monaco de disposer de l’Auditorium Rainier lll où se tiennent toutes les répétitions et la plupart des concerts. L’ensemble des services de l’orchestre sont dans ce même bâtiment. C’est donc un gain de temps et une praticité considérable pour tous les membres de l’orchestre qui peuvent aisément descendre à la bibliothèque ou consulter la régie pendant la pause. De même, cela nous permet de continuer la préparation des prochaines productions dans nos bureaux après le début du service d’orchestre, sans avoir à changer de lieu.

Evidemment, lorsque l’orchestre collabore avec les Ballets ou l’Opéra de Monte-Carlo, nous accompagnons l’orchestre dans les autres salles, mais c’est aussi l’occasion de rencontrer nos homologues dans ces différentes structures autrement que par téléphone ou par e-mail.

Les tournées sont également très nombreuses dans la vie de l’orchestre monégasque. Je présume que c’est une énorme logistique à gérer autant en amont que pendant la tournée. Quels sont les défis à relever à chaque tournée ?

Il y a l’aspect purement « voyage » : comment y va-t-on, comment revient-on, comment se déplace-t-on sur place, où se loger, etc… Il y a les aspects techniques : comment achemine-t-on les instruments depuis Monaco, quelles sont les caractéristiques techniques des salles de concert, le plateau, les loges, quelles sont les particularités de la partition qui y sera exécutée, notamment dans le cas de banda, d’orchestre de coulisse. Et enfin la partie administrative, gestion des devis des différents prestataires (aérien, fret autocars, hôtels, etc), autorisations de circulation pour le camion qui transporte les instruments, les éventuels carnets de douane, visas, carnets de route, listes de vols, d’hôtels, etc… Tout ceci doit passer évidemment par le filtre de la ligne budgétaire affectée à la réalisation de la tournée et on doit parfois faire quelques concessions pour y parvenir.

Evidemment je ne suis pas seul pour gérer tout ça. L’équipe régie/technique compte en tout cinq personnes, ce qui permet entre nous un contrôle interne, nécessaire pour éviter les erreurs.

Pour qu’une tournée soit réussie, il faut éliminer le maximum d’inconnues dans l’équation. Lorsque je ne suis pas certain de ce qui nous attend, je vais voir sur place plusieurs mois avant. C’est toujours très utile.

 L’orchestre est actuellement en tournée au Sultanat d’Oman. Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce déplacement ?

C’est la 3e fois que l’OPMC se rend à Oman. L’équipe du Royal Opera House de Mascate est rompu à la réception d’orchestres et de compagnies invitées, c’est donc finalement assez simple à organiser de notre côté, d’autant qu’on ne change pas de ville ni d’hôtel pendant dix jours, ce qui est plutôt rare !

Généralement un orchestre en tournée va visiter 4 à 6 villes en une semaine. On doit le plus souvent tout organiser depuis Monaco : hôtels, vols, transferts. On commence à travailler sur les tournées de 12 à 18 mois plus tôt, mais cela ne veut pas dire que cela prend tout ce temps. Il y a des « temps de pause » pendant lesquels on est en attente d’options, de réponses, de confirmations. C’est au cours des dernières semaines avant la tournée que ça commence vraiment à s’agiter. Il y a toujours des changements de dernière minute d’un côté (un hôtel ou un horaire de vol qui change par exemple), ou d’un autre (on ne sait pas prédire 12 mois à l’avance quand l’une de nos musiciennes partira en congé maternité !).

Le diable se cache dans les détails et il nous faut rester vigilant, ne pas se reposer aveuglément sur les organisateurs locaux ni sur les prestataires qui peuvent aussi faire des erreurs. Lorsque les problèmes surviennent, c’est sur vous qu’ils tombent d’abord !

 Quelles sont vos relations avec les solistes, le chef et le Directeur musical ?

L’OPMC dispose d’un service artistique qui va tout gérer en amont avec les solistes, les chefs invités et leurs agents. Ensuite notre régie prend le relais en les accueillant lorsque ces artistes arrivent pour répéter et jusqu’au concert. C’est toujours dans un esprit professionnel et bienveillant qu’ils sont accueillis et les relations sont toujours excellentes avec eux.

Avec notre Directeur Musical, Maître Kazuki Yamada, nous communiquons en direct, même lorsqu’il est à l’autre bout du globe. Lorsqu’il n’est pas à Monaco pour plusieurs semaines, j’essaie de le tenir au courant de la vie de l’orchestre comme en ce moment, de la tournée à Oman qui se déroule actuellement avec un autre chef d’orchestre.

Le régisseur général apparaît comme une fonction au contact de tous les métiers mais quelque part assez seul dans l’organigramme car il n’y en a pas 2 dans une structure. Même si l’expérience est un atout, est-ce qu’il existe une amicale ou une réunion des Régisseurs généraux des orchestres ?

C’est vrai que les musiciens de plusieurs orchestres ont pu se côtoyer au conservatoire et avoir conservé des relations, ils ont aussi leurs syndicats. Les bibliothécaires d’orchestre ont le MOLA, les directeurs et administrateurs d’orchestre ont l’AFO, nous n’avons pas d’équivalent. J’adorerais qu’il y ait pour les régisseurs une sorte d’association, comme la « Society of the Crossed Keys » qu’on voit dans le film Grand Budapest Hotel. Des idées ont parfois été lancées sur ce sujet, sans suite.

La réalité est qu’on est tout de même nombreux à se connaître (il y a notamment quelques « anciens de Sèvres » comme moi). Mais surtout, j’ai remarqué une grande bienveillance entre ceux qui ne se connaissent pas ou qui ne se sont jamais vus lorsqu’il s’agit d’être dépanné d’un instrument, d’un contact, d’une expérience ou de toute information.

Dans une fonction de régisseur, les problèmes à résoudre sont sans doute inattendus. Quel est le plus gros inattendu que vous avez du résoudre ?   

Il y a quelques années, nous avons joué à Budapest et le lendemain nous devions rentrer à Monaco par un vol depuis Vienne, à 200 kilomètres. Une succession de petits soucis ordinaires et sans rapports les uns par rapport aux autres, a fait que l’un des deux autocars qui nous emmenait de Budapest à l’aéroport de Vienne a été pris dans un grave accident de la circulation sur l’autoroute. Certains musiciens aient été choqués mais aucun blessé n’a été à déplorer dans les rangs de l’orchestre. Ce qui ne fut hélas pas le cas pour certains autres automobilistes.

Je me suis donc retrouvé sur l’autoroute en Hongrie avec une quarantaine de musiciens, à mi-chemin entre Budapest et Vienne, avec un vol à attraper, un autocar inutilisable et un chauffeur choqué, en pleine crise humanitaire des migrants qui se pressaient à la frontière autrichienne que nous devions franchir. Heureusement, deux musiciens de l’orchestre d’origine hongroise m’ont aidé à communiquer avec la police et les secours.

Une fois arrivée à l’aéroport de Vienne, évidemment nous avions raté le vol. Mais avec une nouvelle option de retour en poche garantissant le retour de tous, le soir même à la maison, j’ai offert une bonne bière autrichienne à tout le groupe !

Il faut toujours être prêt à résoudre des situations plus ou moins délicates ou insolites, avec ce qu’il faut d’empathie. L'anticipation ne suffit pas toujours. Dans nos métiers, l’adaptation, la réactivité et la capacité à trouver des issues à toute situation sont des clés décisives.

Le site de l'Orchestre philharmonique de Monte-Carlo :  www.opmc.mc

Ccrédirs photographiques : Frédéric Vitteaud / Ouzounov

Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot

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