Madrigaux de Mazzocchi, richement enluminés par Les Traversées Baroques
Prima le parole. Domenico Mazzocchi (1592-1665) : Uscite à mille, à mille ; Passacaglie Dialogo à tré ; Di marmo siete voi ; Verginelle ; O tempeste ; Aprite il seno ; Lidia ti lasso, O Dio ; Chiudesti i lumi ; Hor che gli armenti ; Sù da’monti ; Pian piano ; Hor che sepolto ; Dolci godete ; Oh se podeste mai [Madrigali a cinque voci, Roma, 1638]. Les Traversées Baroques, direction Étienne Meyer. Capucine Keller, Dagmar Šašková, Anne Magouët, soprano. Maximiliano Baños, alto. Vincent Bouchot, François-Nicolas Geslot, ténor. Renaud Delaigue, Alejandro Meerapfel, basses. Béatrice Linon, violon. Judith Pacquier, cornet, direction artistique. Liselotte Emery, cornet, flûte à bec. Monika Fischalek, basson, flûte à bec. Marion Martineau, Christine Plubeau, viole de gambe. Matthias Spaeter, théorbe. Magnus Andersson, théorbe, guitare. Giovanna Pessi, harpe. Laurent Stewart, clavecin, orgue. Livret en anglais, français, allemand ; paroles et traduction trilingue. Octobre 2021. TT 52’39. Accent ACC 24384
Quelques membres de l’équipe vocale ici réunie s’étaient déjà distingués dans les rares albums entièrement consacrés à Domenico Mazzocchi : Renaud Delaigue dans Madrigali e Dialoghi par l’ensemble Les Paladins (Pan Classics, 2006), Maximiliano Baños dans Le Temple et Le Désir avec l’ensemble Elyma (K617, 2016). Les Traversées Baroques nous intéressent ici aux vingt-quatre Madrigali a cinque voci (1638) et particulièrement à deux des trois sections du recueil : « Da concertarsi sù l'Istrumento » (Lidia ti lasso, O Dio - Oh se podeste mai - Pian piano) et « Variamente concertati » d’un geste plus démonstratif, orienté vers la scène (Sù da’monti - Hor che gli armenti - Dolci godete - Chiudesti i lumi - Hor che sepolto - Verginelle - O tempeste - Aprite il seno). Le chapitre a cappella (« senza istrumento ») n’apparait que par le biais du Di marmo siete voi.
Dans l’index du manuscrit page 192, Mazzocchi indique la présence d’une pièce cachée Nella parte del quinto in luogo de quattro ultimi concerti, che vengono aggiustati nell' altre quattro parti, si è aggiunto il Passacaglie Dialogo a tré dell' autore : « Dans la partie du Quinto après les quatre derniers Concerti, qui viennent avec les quatre autres parties, nous avons rajouté le dialogue Passacaille à trois de l’auteur ». Nous entendons la reconstitution des deux parties de cette églogue (Ninfe gioite. Dialogo a tre - Viso dolce Passacaglia a tre) en plage 2, cela annoncé comme un tout premier enregistrement. On y notera la tessiture particulièrement étendue dans le grave (Amore, 2’11) exigée pour le personnage de Fileno.
Parmi les singularités de ce recueil se trouve un lexique de nuances performatives (dynamique, intonation mode d’émission, enharmonie…) que l’on pourra consulter dans la préface reproduite sur ce lien qui inclut aussi l’érudite notice d’Olivier Rouvière, plus développée que dans le livret papier. On y lit une analyse des techniques à l’œuvre dans le chromatisme âpre et torturé de Pian piano, une des pièces maîtresses du recueil, agitée par le stile concitato attestant combien Mazzocchi maîtrise l’ancienne et la nouvelle manières.
Les Traversées Baroques décorent la polyphonie vocale d’un riche soutien instrumental (enrôlant harpe et flûte à bec, ainsi dans le truculent et printanier Verginelle), qui se substitue parfois au chant le temps du bref Hor che gli armenti, orné par viole, clavecin et cornet. Voire qui s’attribue en consort sans paroles le Lidia ti lasso (plage 7). Globalement, l’interprétation se caractérise par sa verve et son brio, sans nuire à la clarté des lignes. La réalisation s’avère de tout premier ordre et inscrit ce CD comme une remarquable réussite dans la discographie de ce dilettante associé aux autorités papales, et qui contribua à l’évolution du vieux genre madrigalesque vers la cantate et l’opéra.
Son : 9 – Livret : 9,5 – Répertoire : 9 – Interprétation : 10
Christophe Steyne