Ovation pour le Bourgeois-Gentilhomme de Jérôme Deschamps

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Et ce n’est qu’un début ! Après sa création à Montpellier, la tournée interrompue par les mesures sanitaires repart sur les scènes de France avec une ardeur redoublée. Idéal prologue aux festivités du 400e anniversaire de la naissance de Molière (15 janvier 1622), ce Bourgeois Gentilhomme réalise un tour de force : unir génie théâtral, enchantement de la musique, charme de la danse, le tout « cousu » étroitement, comme le voulut le dramaturge, pour divertir le souverain, la cour et le public... jusqu’à aujourd’hui. Plus de dix minutes d’applaudissements soutenus, tous âges et cultures confondus, en témoignent !

Voici en effet retrouvées la spontanéité, la fraîcheur de la troupe de Pézenas tandis que le faste des  divertissements royaux est habilement suggéré. Exploitant des moyens matériels assez modestes avec une ingéniosité aussi brillante que drôle, la troupe réalise la fusion des arts (à commencer par la paradoxale dispute des Maîtres de musique, de danse, d’armes et de philosophie réglée au millimètre). En dépit de coupures (une partie du Ballet des Nations notamment), la beauté, l’énergie, l’élégance de la partition de Lully sont au rendez-vous. Mieux, elles participent de l’efficacité dramatique et dégagent une indicible poésie.

C’est qu’ici « Les deux Baptistes », comme les désignait avec humour la Marquise de Sévigné, ont fait feu de tout bois. Lully jouant la comédie, Molière s’aventurant à chanter et danser. Dans le rôle du Muphti de la « Cérémonie turque », le compositeur emporté par sa fougue sauta même dans l’orchestre à travers un clavecin, faisant rire le roi aux éclats. Car cette comédie-ballet, à l’instar de Monsieur de Pourceaugnac créée l’année précédente, visait à délasser Louis XIV et la Cour après les longues journées de chasses en forêt de Chambord. Il ne s’agissait pas de faire l’éloge du « plus grand roi du monde » selon les termes des Prologues habituels mais de lui procurer simplement du plaisir…. Plaisir renouvelé à travers quatre siècles pendant lesquels, à la différence d’autres œuvres, la partition de Lully a été jouée sans aucune interruption.

Certes, le thème des apprentissages d’un parvenu ridicule se prête à des interprétations trop souvent mutilées, historiques, tragiques, religieuses, grotesques ou extravagantes comme ce fut le cas récemment au Palais-Royal. C’est oublier qu’au Grand Siècle, on propose, on n’impose jamais. Telle est la perspective modeste et loyale adoptée ici par le metteur en scène. Aussi loin du Jourdain « gentillet » vu par les cuistres que de toute cérébralité exogène, le comédien incarne ici un personnage complexe, orgueilleux et touchant. Précédé, lors de chacune de ses entrées, par l’indicatif de l’Eurovision, clin d’œil à Marc-Antoine Charpentier, Jérôme Deschamps saute, danse, chante, irradie, entouré de comédiens de haut vol dont on admire le sens du « collectif ». Les quatre chanteurs et cinq danseurs (dont un acrobate que Lully aimait mêler à ses danseurs) se glissent naturellement -à l’exception d’un léger flottement chez l’un des chanteurs- dans les jeux de scène et une chorégraphie retaillée « sur mesure » (la célèbre Chaconne par exemple) due à Natalie van Parys.

A première vue, les modestes effectifs instrumentaux placés dans la fosse, au regard de ceux utilisés par Lully, pouvaient faire craindre un son quelque peu anémique. Là aussi, l’ingéniosité et le sens du théâtre accomplissent des prodiges. A la tête de l’Académie des Musiciens du Louvre, David Dewaste tire un parti très dynamique et musical de sa formation de percussionniste. Veillant sur ses interprètes comme une poule sur ses poussins, il obtient une belle cohésion d’ensemble sans négliger nuances et contrastes aussi délicats que bien allants. Quelques gags (un cochon vivant offert en festin à la marquise d’où sortent saucisses, hot-dogs et jambon ; scène d’ivresse de Covielle et Cléonte) rappellent les Deschiens ; les décors et costumes qui hésitent entre « kitsch », poésie lunaire et farce, également. La commedia dell’arte n’est pas loin.

Le chef de la troupe se plaît à rappeler à quel point il fut émerveillé lorsque, enfant, assis à côté de son grand-père, il applaudissait Louis Seigner, Jacques Charon, Robert Hirsch, Jean Piat ou Georges Descrière. A son tour, il fait vivre l’un de ces grands moments de théâtre que l’on n’oublie pas.

Bénédicte Palaux Simonnet

Caen, Théâtre, le 10 octobre 2021

Crédits photographiques : Marie Clauzade

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