A Genève, une Poppea bien malheureuse

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A la fin octobre 2019, le Grand-Théâtre de Genève avait accueilli la production de L’Orfeo de Claudio Monteverdi que présentait la Iván Fischer Opera Company dans une esthétique archaïsante traditionnelle. Pour deux représentations, la même troupe hongroise a proposé, les 30 septembre et 1er octobre, L’Incoronazione di Poppea que dirige et met en scène Ivan Fischer.

En l’occurrence, ne conviendrait-il pas mieux de parler de mise en espace tant le résultat est peu convaincant ? La scénographie d’Andrea Tocchio ne consiste qu’en un immense sofa à coussins dorés surmonté d’un portique en miroir jouxtant un praticable à escaliers, près duquel se placent deux clavecins, un orgue positif, un luth, un violoncelle et une harpe constituant la basse continue ? Les cordes du Budapest Festival Orchestra n’apparaissent sur le plateau que le temps d’accompagner une aria que dirige du clavier Iván Fischer. Les costumes d’Anna Biagiotti se veulent modernes dans un patchwork de coloris allant du body pailleté de Poppea au kaki d’explorateur de Seneca et de ses disciples, alors que Nerone en complet blanc s’enveloppant dans une étole immaculée n’hésite pas à enfiler des talons aiguille pour prendre à partie le Lucano travesti qui partage ses frasques nocturnes. Les allégories de la Vertu et de la Fortune sont réduites à l’état de femmes de chambre quand l’Amour enfant troque ses ailes et boucles blondes pour devenir le groom de service…

De ce fatras décousu émergent deux ou trois voix : la mezzo chilienne Luciana Mancini prête à Ottavia, l’épouse délaissée, un timbre ambré et une ligne de chant magnifique, ce dont se targue aussi la basse Gianluca Buratto conférant une indéniable présence au philosophe Seneca par l’ampleur de ses moyens. La soprano Nura Rial brûle les planches avec une Drusilla aguicheuse qui ose faire concurrence à la Poppea tout aussi sensuelle de Jeanine De Bique, jouant autant de sa palette expressive et du moirage de coloris que de son physique glamour. Face à elle, le Nerone de Valer Sabadus est bien pâle. Pour qui a entendu à Lausanne sa Semira dans l’Artaserse de Leonardo Vinci, il n’est plus que l’ombre de lui-même. A première vue, l’on pourrait imaginer la méforme d’un mauvais soir. Mais les cris d’orfraie qu’il pousse en seconde partie évoqueraient plutôt une sensible perte des moyens dans le registre aigu. Quant à l’Ottone de Reginald Mobley, il peine à s’imposer tant son registre de contre-ténor est voilé, alors que son chant est pavé de bonnes intentions. A Jakob Geppert, un membre de la Chorakademie de Dortmund, l’on confie le double rôle du dieu Amore et du Valletto ; mais faut-il vraiment faire appel à un jeune garçon au timbre gracile, même s’il est en mesure de vocaliser ? Finalement, c’est vers Stuart Patterson qu’il faut se tourner pour entendre une mélopée à fleur de lèvres qu’Arnalta, la nourrice, chante à sa maîtresse avant le sublime « Pur ti miro, pur ti godo » qui achève ce singulier chef-d’œuvre.

Genève, Grand-Théâtre, première du 30 septembre 2021

Paul-André Demierre

Crédits photographiques : Balint Hirling

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