Lahav Shani et Lisa Batiashvili séduisants dans Beethoven, Schubert et Wagner

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Il y a un an, le chef d'orchestre israélien Lahav Shani était venu dans ce même Théâtre des Champs-Élysées, à la tête de « son » Orchestre Philharmonique de Rotterdam, pour le début de sa dernière saison comme directeur musical (fonction qu’il occupait depuis 2018). Il revient donc, avec l'Orchestre philharmonique de Munich, cette fois en avance d’une saison sur son futur mandat de directeur musical, puisqu’il prendra son poste en 2026. À noter que, parallèlement, il exerce la même activité avec l'Orchestre philharmonique d'Israël depuis 2020 (il vient d’être prolongé jusqu'en 2032). C’est dire s’il est déjà, à trente-six ans, un chef d'orchestre demandé.

Au programme, le Concerto pour violon de Beethoven, la Symphonie inachevée de Schubert, et des extraits (Prélude et Mort d’Isolde) de Tristan et Isolde de Wagner. Cet ordre, moins habituel que le traditionnel Ouverture-Concerto-Symphonie, se trouve obéir à la chronologie : 1806-1823-1865. Il permet également de mesurer l’évolution de la musique en quelques décennies.

Sous le dôme de Chantilly, la musique en majesté avec Matthias Goerne et l’Orchestre national de Lille

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Les imposants murs du dôme des Grandes Écuries du Château de Chantilly vibrent, quatre week-ends par an, au souffle des plus grands maîtres. Depuis sa création en 2021, sous l’impulsion du prince Amyn Aga Khan et du pianiste Iddo Bar-Shaï, le festival s’est imposé comme un rendez-vous singulier où les plus grands — Martha Argerich, Evgueny Kissin, Maxim Vengerov, Mischa Maisky — ont déjà foulé la piste circulaire. Un lieu à part, presque irréel : cette piste, jadis abreuvoir monumental et fontaine rocaille, se déploie sous un dôme de 28 mètres de haut, construite au XVIIIᵉ siècle pour les chevaux princiers. C’est dans ce décor unique que se déroule les concerts du soir, dans une acoustique ample et généreuse, et avec ce parfum des animaux qui flotte dans l’air. Le 14 septembre dernier, l’espace accueillait l’Orchestre national de Lille et un invité de prestige, le baryton allemand Matthias Goerne.

Simon Rattle, Mozart et Haydn 

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Idomeneo, dramma per musica. Andrew Staples, Idomeneo ; Magdalena Kožená, Idamante ; Sabine Devieilhe, Ilia ; Elsa Dreisig, soprano ; Linard Vrielink,  Arbace ; Allan Clayton, grand prêtre de Neptune ; Tareq Nazmi, la voix de l“Oracle. Chor des Bayerischen Rundfunks, Direction : Howard Arman ; Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Direction : Sir Simon Rattle. 2023. Livret et synopsis en anglais et allemand. Livret consultable en ligne via un QR code. 3 CD BR Klassik BR 900215

Joseph Haydn (1732-1809) : Die Schöpfung, Hob.XXI:2. Lucy Crowe, soprano ; Benjamin Bruns, ténor ; Christian Gerhaher, baryton-basse. Chor des Bayerischen Rundfunks, Direction : Howard Arman ; Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Direction : Sir Simon Rattle. 2023. Livret en anglais et allemand. Texte chanté en allemand, traduction en : anglais. 2CD BR Klassik 900221 

Début de saison à Metz avec David Reiland

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Pour initier sa saison 2025-2026, l'Orchestre national de Metz Grand Est se place sous le signe de la modernité, et même de la contemporanéité. Modernité du début du XXème siècle, avec le Concerto pour violon de Sibelius et les deux suites que Ravel sortit de son ballet Daphnis et Chloé, et contemporanéité avec la commande de la Cité musicale de Metz, le Bestiarum Musical V, de la compositrice japonaise invitée à résidence, Noriko Baba.

Si la présentation par la compositrice de son œuvre, inspirée des mondes aquatiques, avec un premier mouvement venant du monde de l'hippocampe et un second de celui du martin pêcheur, permettait aux spectateurs de se sentir plus à l'aise avec cette musique moderne, leur perplexité n'en resta pas moins grande. Sans doute faut-il à cette œuvre utilisant les ressources de Boulez et de la deuxième école viennoise plus de temps que deux concerts - le premier ayant été celui de la fin de saison 2024-2025- afin qu'elle soit appréciée à sa juste valeur.

Le concert continua avec la violoniste coréenne Anna Im pour le Concerto pour violon de Sibelius, ce qui permettait à l'orchestre de se développer véritablement. Nonobstant, il semblait que, malgré ses qualités, comme l'harmonie des pupitres, pour lesquelles le public lorrain le suit avec plaisir, l'orchestre manquait d'entrain et de vigueur durant le premier mouvement. Ses qualités révélaient cependant un orchestre proche de celui de Mahler, avec des accords et des harmonies hardies et recherchées, comme celles entre les cordes et les vents. Le deuxième mouvement du concerto, plus nostalgique, lui permet de gagner en assurance, pour prendre sa pleine dimension durant le troisième mouvement.
La modernité fut surtout révélée par la soliste aux aigus acérés, et aux arêtes tranchantes durant le premier mouvement. Elle mène le second mouvement à la force contenue jusqu'au dernier mouvement synthétisant les deux premiers. Pour un premier concert en France, la violoniste n'a pas manqué de faire ici une forte et très bonne impression.

Deux rares messes d’Annibale Padovano, superbement défendues par l’ensemble Cinquecento

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Annibale Padovano (1527-1575) : Missa A la dolc’ombra. Motet Domine a lingua dolosa. Missa Domine a lingua dolosa. Cipriano de Rore (c1515-1565) : Motet A la dolc’ombra. Cinquecento Renaissance Vokal. Terry Wey, contreténor. Achim Schulz, Tore Tom Denys, ténor. Tim Scott Whiteley, baryton. Ulfried Staber, basse. Avec Bernd Oliver Fröhlich, Jan Petryka, ténor. Février 2023. Livret en anglais, allemand. Paroles en latin, traduction en anglais et allemand. 75’23’’. Hyperion CDA68407

Le pari gagnant des Prem’s à la Philharmonie

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C’était l’une des interrogations de l’été du monde mélomane parisien : qu’allait donc donner ce format inédit pour les concerts de rentrée en salle Pierre Boulez, emprunté au Royal Albert Hall et à ses BBC Proms, comme en témoigne son nom ? L’on s’est glissé dans la fosse pour quatre concerts et, spoiler alert, l’expérience est un succès de bien des points de vue.

La Philharmonie n’échappe habituellement pas à la dure règle qui régit les institutions parisiennes : il est toujours particulièrement ardu de remplir sa jauge au tout début de septembre. Ainsi, l’on se souvient encore du 2 septembre 2023 où les Berliner et Petrenko ouvraient le bal alors que plus d’une centaine de places étaient encore vacantes à quelques heures de l’évènement. Pour contrer ce phénomène, alors que trois phalanges d’envergure venaient côtoyer l’Orchestre de Paris porte de Pantin en l’espace de huit jours, la Philharmonie décidait donc de faire un choix osé : passer dans une configuration hybride avec un parterre debout et trois balcons, à mi-chemin entre ses configurations symphoniques et contemporaines. La démarche était toutefois également la promesse d’un nouveau public, avec plus de 800 places par concert à 15 euros — pour celles debout dans la fosse, tarif plein — ou moins.

Dès lors, chacun allait de ses circonspections concernant le rendu acoustique global — force est de reconnaître qu’il eût été bien fâcheux de voir une 9ᵉ de Mahler aussi incandescente être gâchée par une mauvaise acoustique. Ainsi, lors de la conception de la salle, Kahle et Marshall, cabinets d’acousticiens en charge du projet, n’avaient effectué de simulations que dans deux dispositions définies : la symphonique, avec un parterre intégralement assis, et la contemporaine, destinée à la musique amplifiée avec trois balcons, une fosse debout étendue et sans arrière-scène. Première surprise : pour qui souhaite se placer près de l’orchestre, l’acoustique est indubitablement meilleure que ce que l’on a pu découvrir lors des concerts assis, et beaucoup plus proche des rendus dont on pourrait faire l’expérience sur scène. Point finalement logique, vu que l’altitude plus élevée et la plus grande proximité permettent de faire fi de toute acoustique — dans le sens de la réverbération des sons sur le nuage au-dessus de la scène-. Qui est trop excentré du mauvais côté peut faire les frais d’une balance déséquilibrée où les contrebasses et la corde de la des violoncelles prévalent, mais rien de nouveau par rapport aux limites déjà constatées sur les placements dans les tout premiers rangs des parterres latéraux. Pour le reste, l’échelonnement de la fosse permet à chacun d’acquérir une visibilité correcte, guère de « casquette » — i.e. partie recouverte par un autre balcon — ici en fond de fosse.

Justina Gringytė, passionnément Bizet 

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La mezzo-soprano Justina Gringytė célèbre Bizet avec un album qui propose les 20 mélodies Op.21 (Ondine). La chanteuse qui a beaucoup chanté Carmen nous permet de découvrir ce cycle trop peu connu du compositeur français. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec Justina Gringytė. 

Qu'est-ce qui vous a motivé à célébrer l'anniversaire de Bizet avec cet enregistrement ? Que représente Bizet pour vous ?

J'ai senti que je devais exprimer mon respect et ma gratitude à ce compositeur pour sa création de Carmen, cet opéra qui m'a accompagné à travers le monde. J'ai participé à sept productions différentes de Carmen, avec plus de 80 représentations en Italie, au Portugal, en Russie, en Grande-Bretagne et en Lituanie. C'est la production légendaire de Calixto Bieito que j'ai le plus souvent interprétée. Ma première participation à l'une de ses productions, à l'ENO de Londres en 2015, a été retransmise en direct dans tous les cinémas du Royaume-Uni. Je me suis sentie très privilégiée et honorée qu'on me confie un rôle aussi emblématique et important. Mais je dois avouer qu'au fil des ans, j'ai remarqué que Carmen me limitait vocalement. Je me suis orientée vers le répertoire verdien et j'ai exploré des rôles tels que Amneris, Eboli ou Azucena. Cependant, j'ai simultanément ressenti un intérêt et une curiosité particuliers pour trouver ce qui pourrait me convenir dans l'œuvre de Bizet, au-delà de notre chère Carmen.

Comment avez-vous découvert ce cycle de 20 mélodies ? Pourquoi avez-vous choisi de l'enregistrer pour votre premier album solo ?

Mon premier grand rôle à l'opéra était Carmen, j'ai donc pensé que mon premier album solo pourrait également être consacré à la musique de Bizet.

L'histoire réelle de ma « rencontre » avec ces mélodies remonte à quelque temps. C'était en 2012, lorsque je participais au Jette Parker Young Artist Programme à Covent Garden. Le directeur musical de l'époque,  David Syrus, m'a apporté un livre de mélodies et m'a dit que je devrais m'intéresser à celles de Bizet.

Puis, en 2015, alors que je jouais Carmen à Londres, un ami cher et mécène m'a offert un cadeau : un livre du célèbre musicologue Hugh McDonald sur la vie de Georges Bizet, une analyse de son œuvre, avec une dédicace. À l'époque, je l'ai feuilleté, j'ai lu certains passages biographiques du compositeur, en m'intéressant principalement à la création de  Carmen, puis j'ai rangé le livre. Mais pendant la période Covid, mon regard ne cessait de se poser sur le livre de Hugh McDonald sur l'étagère. C'était comme s'il m'appelait inconsciemment... Je l'ai pris et j'ai commencé à le lire sérieusement. Je voulais mieux connaître Bizet et j'avais besoin de cette analyse approfondie. Ce recueil de mélodies n'a pas été compilé par le compositeur lui-même, mais par les éditeurs. Il est toutefois très intéressant de noter que les vingt mélodies qui composent l'opus ont été composées par Bizet sur une période de près de dix ans, de 1863 à 1872. Ainsi, en vous plongeant dans les mélodies du recueil et en les analysant, vous apprenez également à connaître Bizet lui-même, vous découvrez toute une décennie de la vie du compositeur. On se rend compte à quel point il était varié, comme en témoigne la diversité des chansons. Le livre de Hugh McDonald m'a vraiment beaucoup aidé à comprendre tout cela.

Chostakovitch, Symphonie n°9 : guide d’écoute

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À l’occasion du cinquantenaire de la disparition de Dimitri Chostakovitch (1906-1975), nous vous proposons ce guide d’écoute consacré à une de ses symphonies les plus jouées et appréciées : la no 9 en mi bémol majeur opus 70, qui vient de fêter son quatre-vingtième anniversaire.

Seconde Guerre mondiale. Depuis 1943, Chostakovitch avait laissé entendre que sa prochaine symphonie serait une sorte de grand-messe avec solistes et chœurs. Alors que le conflit prenait fin, que l'Armée Rouge avait repoussé l'envahisseur, la Mère Russie s'attendait donc certainement à une célébration triomphale, en tout cas à autre chose que cet opuscule néoclassique, écrit en août 1945 pour une nomenclature de type beethovénienne + petite percussion « à la turque ». L’ensemble des cinq sections ne dépasse pas vingt-cinq minutes. Hormis quelques rares passages pathétiques (dans le Largo), l'humeur en est sémillante. Les censeurs soviétiques ne tardèrent pas à réprouver ce qui fut considéré comme un échec idéologique et une faiblesse à représenter l'esprit du peuple. Avec le recul, on s'autorise à penser que le compositeur exprima là une caricature des ardeurs bellicistes et des festivités imposées par la Nomenklatura. Le ton léger et ludique de cette symphonie ne reflète-t-il tout bonnement un naïf enthousiasme qui se réjouit de la fin des hécatombes ? L’élan spontané et libérateur d'un homme heureux ?

La saison 2025-2026 du Philhar’ de Radio France est ouverte !

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Pour son concert de rentrée, le Philhar' de Radio France avait confié la baguette à Santtu-Matias Rouvali. Comme de nombreux chefs d'orchestre tous plus talentueux les uns que les autres, et souvent extrêmement jeunes (à presque quarante ans, lui ferait presque office de doyen), il vient de Finlande. Actuellement chef principal du Philharmonia Orchestra, il est déjà un fidèle du Philhar’, qu’il dirige tous les deux ans depuis 2019.

Le programme qu’ils avaient choisi était précisément placé sous le signe de la fidélité. Il était de circonstance pour ouvrir la saison.