Dalinda de Donizetti, 185 ans de purgatoire avant une première mondiale

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Gaetano Donizetti (1797-1848) : Dalinda, drame en trois actes. Lidia Fridman (Dalinda), Luciano Ganci (Ildemaro), Paolo Bordogna (Acmet), Yajie Zhang (Ugo d’Asti) ; Chœurs et Orchestre du Berliner Operngruppe, direction Felix Krieger. 2023. Notice et synopsis en allemand et en anglais. Livret complet en italien, sans traduction. 102’ 20’’. Un coffret de deux CD Oehms 0C 989.

De Monte : un florilège de madrigaux spirituels, chastement encensés

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Philippe de Monte (1521-1603) : Il primo libro de madrigali spirituali a 5 voci [extraits] ; Il primo libro de madrigali spirituali a 6 voci [extraits] ; Il secondo libro de madrigali spirituali a 6 et 7 voci [extraits]. Costanzo Porta (c1528-1601) : Che fia, quando udirà [Il primo libro de madrigali a 4 voci]. Cipriano de Rore (c1515-1565) : Vergine pura [Il terzo libro de madrigali a 5 voci]. Pietro Vinci (1535-1584) : La bella Donna [Quattordici sonetti spirituali]. Luca Marenzio (1553-1599) : Signo già cui fu poco [Madrigali spirituali]. Cappella Mariana. Barbora Kabátková, Pavla Radostová, Michaela Riener, soprano. Ondřej Holub, Adriaan De Koster, Tomáš Latjkep, Vojtěch Semerád, ténor. Joel Frederiksen, Jaromír Nosek, basse. Livret en anglais, français, néerlandais ; paroles en italien traduites en anglais. Mars & mai 2023. TT 54’58. Passacaille 1143

Sergey Khachatryan et Alexandre Kantorow à Monte-Carlo 

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Le violoniste Sergey Khachatryan et le pianiste Alexandre Kantorow sont deux musiciens chéris par le public monégasque. Ils sont venus régulièrement à Monaco, mais jamais ensemble. Cette première rencontre se déroule devant le public conquis de l’Auditorium Rainier III dans le cadre de la saison de récital de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo.  

L'élégance, le goût, le caractère poignant et l'énergie de leur jeu dans la Sonate n°1 de Brahms transcendent le temps et la technologie.  Leur interprétation collaborative de cette sonate est la définition de la véritable musicalité.

La rare  Sonate pour violon et piano d'Arno Babadjanian est une œuvre exaltante, qui accroche dès la première minute. On ressent toute la douleur du compositeur arménien, marqué par le génocide perpétré quelques années avant sa naissance. Elle date de 1959 est dédiée à Dimitri Chostakovitch et montre l'influence de Prokofiev.  

Celibidache revisite Franck et Debussy 

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César Franck (1822–1890) : Symphonie en ré mineur ;  Claude Debussy (1862–1918) : Nocturnes, Triptyque symphonique pour orchestre et chœurs. Damen des philharmonischen Chores München ; Münchner Philharmoniker, direction :  Sergiu Celibidache. 1983 et 1991. Livret en allemand et anglais. MPhil0027. 

A Genève, Tugan Sokhiev pour la première fois à la tête de l’OSR 

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Pour l’antépénultième concert de la saison 2023-2024, l’Orchestre de la Suisse Romande invite un chef que l’on entend rarement à Genève, Tugan Sokhiev, qui a été durant de longues années directeur musical du Théâtre Bolchoï de Moscou et de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. 

Pour les soirées des 25 et 26 avril, son programme est entièrement consacré à la musique russe et commence par une page magnifique d’Anatol Liadov, Le Lac enchanté, poème symphonique op.62 créé à Saint-Pétersbourg en février 1909. Tugan Sokhiev l’aborde avec une extrême lenteur en créant dans un pianissimo presque imperceptible un climat envoûtant où les cordes miroitent sous les arpèges de harpe et de célesta et les flûtes en étoiles. Peu à peu, l’onde frémit en suscitant une vague du tutti qui n’est que passagère avant de se diluer en un reflux rasséréné.

Intervient ensuite le lauréat du Concours Van Cliburn de 209, Haochen Zhang, jeune pianiste chinois trentenaire qui est le soliste du Troisième Concerto en ut majeur op.26 de Sergey Prokofiev. Répondant au dialogue expressif de la clarinette avec les flûtes et les violons, il impose, dès son entrée en bourrasque, un jeu clair usant parcimonieusement de la pédale de droite et une technique époustouflante qui lui permet de détacher pratiquement ses yeux du clavier. La vélocité rend cinglant le trait sans durcir le son mais cède le pas devant de nostalgiques élans sous-tendant ensuite l’Andantino que les variations dynamisent par l’enchaînement de sauts de tessiture et de traits en octaves ahurissants. Tout aussi stupéfiant, le Final accumulant les accords percutants et les arpèges arachnéens qui font effet sur un public galvanisé par la performance. Le jeune soliste intimidé le remercie par l’un des Préludes du Premier cahier de Claude Debussy, une Fille aux Cheveux de Lin en demi-teintes rêveuses.

Papier à Musique d'Alain Pâris : Massenet

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Jules Massenet fait partie de cette longue liste de victimes condamnées à l’oubli par les tenants de l’esthétique dominante des années 1960-1970. En dehors de Manon et Werther, il était de bon ton de considérer le reste de son œuvre comme exhalant un parfum suranné. Disparues des programmes les Scènes alsaciennes, les Scènes pittoresques ou l’ouverture de Phèdre régulièrement jouées dans les concerts symphoniques pendant des décennies. Sans parler de Thaïs, Sapho ou Don Quichotte. Comme c’est souvent le cas, le renouveau est venu de l’étranger grâce à quelques fervents défenseurs de notre musique, Richard Bonynge, Eve Queler, Joan Sutherland ou Frederica Von Stade. Dans les années 1970, il fallait une certaine audace pour enregistrer Thérèse, Esclarmonde ou Cendrillon. Et celui qui a ramené Massenet sur nos scènes lyriques parisiennes, c’est encore un étranger, Rolf Liebermann. La relève viendra de Saint-Étienne, ville natale de Massenet, avec la Biennale initiée par Jean-Louis Pichon et Patrick Fournillier.

Dans la monumentale biographie qu’il vient de consacrer à son héros chez Fayard, Jean-Christophe Branger retrace cette sortie de l’ombre, ce retour en grâce, citant un autre avocat de la cause Massenet, Gérard Condé qui, il y a un demi-siècle, n’hésitait pas à écrire : « Tout se passe comme si le “purgatoire“ infligé depuis la guerre à la musique de Massenet, jugée trop facile et démodée, prenait fin en apothéose… Je ne le crois pas ». Apothéose, on en était encore loin, d’où la réserve finale. Mais les temps ont changé et le « trop facile et démodé » est aujourd’hui apprécié à sa juste valeur. À commencer par la spontanéité mélodique, l’émotion et la sensualité. Il n’y a aucune honte à aimer la Méditation de Thaïs. Il n’y a aucune honte à apprécier la finesse d’écriture du Cours la Reine de Manon. Il n’y a aucune honte à se laisser emmener en voyage lorsque Massenet puise dans les répertoires populaires d’autres pays (même si les airs slovaques de son Concerto pour piano n’ont rien de slovaques !).

Mathis Rochat, rayonnant dans trois concertos de l’école prussienne

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Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) : Concerto pour violoncelle en si bémol majeur Wq. 171 [arrgmt pour viole par M. Rochat]. Johann Gottlieb Graun (c1703-1771) : Concertante pour violon, alto et orchestre en ut mineur GraunWV A:XIII:3. Concerto pour alto, cordes et basse continue en mi bémol majeur Cv:XIII:116 [sic, erronément coté GraunWV A:XIII:3 dans le livret]. Mathis Rochat, alto. Stephen Waarts, violon. Christine Theus, violoncelle continuo. Camerata Schweiz, Howard Griffiths. Juillet 2022. Livret en allemand, anglais. TT 61’58. CPO 555 613-2

Le huis clos de la Tragédie florentine de Zemlinsky en version de concert

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Alexander Zemlinsky (1871-1942) : Eine florentinische Tragödie, opéra en un acte ; Ouverture « Eine florentinische Tragödie », version de concert. Rachel Wilson, mezzo-soprano (Bianca) ; Benjamin Bruns, ténor (Guido Bardi, prince de Florence) ; Christopher Maltman, baryton (Simone, un marchand) ; Münchner Rundfunkorchester, direction Patrick Hahn. 2022. Notice et synopsis en allemand et en anglais. Pas de livret. 57’ 14’’. BR Klassik 90034.

Charlemagne Palestine, son Casio et les orgues de Saint-Loup

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Je l’avais vu, il y a un bon bout de temps, à la Maison du Peuple de Saint-Gilles, un soir de match (les clameurs des supportes bariolés dans la rue), l’audience lovée dans d’incongrus transats de plage disposés en cercle pour l’occasion, l’interprète au centre, acharné de quelques doigts sur un Bösendorfer qui n’en demandait pas tant : la musique de Charlemagne Palestine -une incantation frénétique, étrangement envoûtante- tient aux ondes sonores comme à sa présence, à son sens du décorum -qui exerce une fascination un peu penaude. 

Mais, ce mercredi soir dans l’imposante et baroque église Saint-Loup de Namur, c’est d’orgue qu’il est question, et je suis curieux de voir et entendre ce natif de Brooklyn venu à Bruxelles pour l’amour, la vibration et la loi sur les armes, ancien cantor et carillonneur, pionnier du minimalisme avec Steve Reich, Terry Riley ou La Monte Young (il s’en détache plus tard, grimaçant devant la dérive commerciale et new age du mouvement et se qualifie ensuite de maximaliste), chercheur de sons -non, du son, celui dont l’expérience physique rejoint l’expérience spirituelle, celui dont la vibration touche l’âme comme le corps.

C’est la première édition du Printemps des Orgues de Saint-Loup, plus de dix jours pour mettre en valeur le lieu, l’instrument (l’ambitieuse résurrection du grand orgue, confiée, par le comité d’accompagnement présidé par Thierry Lanotte, aux mains de la Manufacture d’orgues Thomas), le bâtiment qui l’abrite et la musique, diverse, qui lui est consacrée -d’hier (et même d’avant-hier) à aujourd’hui ; un défi pour la conservatrice Cindy Castillo, dont l’ouverture esthétique vaut à Saint-Loup de voir un de ses piliers centraux décoré des tissus colorés et des poupées de chiffon qui, avec l’habit, les foulards et le chapeau (rouge), signalent visuellement le monde de Palestine.