Pages symphoniques de Sir Richard Rodney Bennett, volume 4

par

Sir Richard Rodney BENNETT (1936-2012) : Œuvres pour orchestre, volume 4 : Troubadour Music ; Concerto pour piano et orchestre ; Aubade ; Country Dances, livre I ; Anniversaries. Michael McHale, piano ; BBC Scottish Symphony Orchestra, direction John Wilson. 2020. Livret en anglais, en allemand et en en français. 65.52. Chandos SACD CHSA 5244.

Voici déjà le quatrième volume d’une série consacrée aux oeuvres orchestrales de Sir Richard Rodney Bennet ; ses symphonies occupaient en partie les trois premières parutions. Né dans le Kent en 1936, ce créateur, actif dans le domaine de la musique de films et pianiste de jazz, a été l’élève de Lennox Berkeley et de Howard Ferguson à Londres. Agé d’une vingtaine d’années, il se rend à Paris pour travailler pendant deux ans avec Pierre Boulez dont il interprétera en public des pages pour piano. Rentré à Londres, il y enseigne avant de faire un séjour aux Etats-Unis, à Baltimore, au début des années 1970. Considéré comme un virtuose du mélange des genres (Gérard Gefen, Histoire de la musique anglaise, Paris, Fayard, 1992, p. 288), Bennett se réfère au sérialisme tout comme à la musique tonale, au jazz et à la musique pop ou au néobaroque. Sa production est riche : œuvres pour la scène, dont plusieurs opéras, musique de chambre et vocale, pièces pour piano, musiques pour le cinéma, comme celles de Murder on the Orient Express (1974) ou d’Equus (1977), et abondante musique pour orchestre mise en lumière aussi par Decca, ASV ou Naxos.

L’œuvre la plus emblématique de ce volume est le Concerto pour piano et orchestre de 1968. Après une tentative avortée quelques années auparavant, Bennett reçoit une commande pour le City of Birmingham Symphony Orchestra, qu’il se fait un plaisir d’honorer après une rencontre avec Stephen Kovacevich. La notice du livret, signée par Richard Bratby, raconte une anecdote amusante. Kovacevich décide de créer le concerto sans utiliser la partition, considérée comme difficile par le compositeur lui-même. La première a lieu sans souci le 10 septembre 1968 à Birmingham, sous la direction de Hugo Rignold et bénéficie d’un direct sur la BBC. L’année suivante, l’œuvre est programmée à la soirée des Proms du 30 juillet. L’administrateur du City of Birmingham, Beresford King-Smith, se souvient : « Kovacevich fut confronté à un autre défi : les freins des roues du piano n’avaient pas été serrées, et l’instrument commença à glisser vers l’avant-scène pendant le premier mouvement. D’une certaine manière, sans interrompre la radiodiffusion, (Kovacevich) parvint à arrêter sa progression en déplaçant son tabouret vers une nouvelle position et avec une main vissant la pédale de frein, un tour de force. » Le pianiste enregistrera le concerto avec le London Symphony Orchestra en 1972, sous la direction de Sir Alexander Gibson, pour Lyrita. 

Dans cette partition en quatre mouvements, Bennett a fait l’unanimité de la critique, qui a estimé que le mélange des genres (spécialité du compositeur, rappelons-le) y est habile et que l’orchestration en est grandiose, à la manière de Brahms. Un Moderato d’une grande limpidité ouvre cette page dans un contexte lyrique, à la fois magique et mystérieux, où le piano, les cordes et le hautbois définissent des thèmes qui vont être utilisés tout au long de vingt-cinq minutes aux climats variés. Le développement fait appel à la percussion et aux cordes de manière éthérée. Si la lenteur et les aspects diaphanes sont de mise dans le premier mouvement, le second déborde de vitalité, tandis que le troisième adopte le ton d’une tranquille agitation sous-jacente qui va trouver son apogée dans les francs débordements de la conclusion. Tout au long du parcours qui fait la part belle à l’atonalité, le piano se révèle cristallin ou sombre. Le pianiste irlandais Michael McHale se lance à corps perdu dans les entrelacements d’une partition exigeante dont il souligne les atmosphères diversement colorées avec netteté et précision. Le Scottish Symphony, dirigé par John Wilson, habitué de cet univers sonore, lui apporte l’éclairage nécessaire pour que le clavier résonne des scintillements distillés par Bennett.

Les quatre autres partitions du programme sont des moments échelonnés de la création de Bennett. L’Aubade de 1964, dont la première est donnée par Sir Malcolm Sargent, est un hommage au chef d’orchestre John Hollingsworth, disparu à l’âge de 47 ans, dans une conception marquée à la fois par le deuil et par la limpidité, avec une orchestration soyeuse. Les Anniversaries de 1982, commande pour les soixante ans de la BBC, sont dédiés au compositeur américain Irwin « Bud » Bazelon (1922-1985), adepte des effets rythmiques. Il s’agit d’un concerto pour orchestre plein de fougue lyrique et de dynamisme léger, avec de multiples variations et un rappel final du Happy Birthday to You de circonstance. Bennett laisse la bride à toute sa joyeuse imagination et aux couleurs détendues. Les Country Dances Book I (2000-2001) et la Troubadour Music (2006) montrent l’intérêt du compositeur pour la musique ancienne ; les premières se réfèrent à une anthologie folklorique de John Playford publiée à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe, la seconde, très brève, s’inspirant d’une chanson française de ménestrel du XIIIe siècle. Bennet déploie dans ces pages une écriture délicate et néobaroque, aux couleurs vivaces. John Wilson entraîne le BBC Scottish dans les aspects variés de ce quatrième volume orchestral avec un goût très sûr et un engagement convaincant.

Son : 9  Livret : 9   Répertoire : 8  Interprétation : 9

Jean Lacroix 

 

Vos commentaires

Vous devriez utiliser le HTML:
<a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.