Passion et Résurrection dans la liturgie baroque, deux nouvelles parutions

par

Joseph-Hector Fiocco (1703-1741) : Lamentationes Hebdomadæ Sanctæ. Ensemble Bonne Corde. Anna Quintans, Ana Vieira Leite, soprano. Hugo Oliveira, baryton. Diana Vinagre, violoncelle, direction. Rebecca Rosen, violoncelle. Marta Vicente, contrebasse. Fernando Miguel Jalôto, orgue. Livret en anglais, allemand, français ; paroles en latin traduites en anglais. Novembre 2021. TT 61’23 + 67’29. Ramée RAM 2105

Christoph Graupner (1683-1760), airs et duos pour le temps de Pâques : Der Herr ist auferstanden ; Zion lacht in reiner Freude ; Sollt ich Kreuz und Leiden scheuen ? ; Mein Freudenlicht hat sich verborgen ; Was, Pilgrim, trauerst du ; Christi Leiden ; Bittet, so werdet ihr nehmen ; Eile, Seele, in die Höhe ; Mein Jesus reicht mir schon die Hände ; Gottlob, der Himmel steht mir offen ; Ach, reines Licht ; Babel, lass den tollen Eifer [extraits de cantates GWV 1128, 1129, 1133-1137]. Ouverture en ut mineur, GWV 413. Double Concerto en sol mineur, GWV 335. Franz Vitzthum, contre-ténor. Georg Poplutz, ténor. Main-Barockorchester. Martin Jopp, violon et direction. Jörn-Sebastian Kuhlmann, Adam Lord, Katerina Ozaki, Alexandra Wiedner-Lorenz, Marie Verweyen, violon. Friederike Kremers, Ursula Plagge-Zimmermann, alto. Katie Stephens, violoncelle. Christian Zincke, violone. Henrike Seitz, clavecin et orgue. Livret en anglais, français, allemand ; paroles en allemand traduites en anglais. Février 2021. TT 77’02. Accent ACC 24382

Avant d’accéder en avril 1737 au poste de maître de chapelle de la Cathédrale Sainte-Gudule de Bruxelles, Joseph-Hector Fiocco avait accepté un similaire emploi de sangkmeester à la Cathédrale d’Anvers. C’est probablement là qu’il composa huit des neuf litanies pour la Semaine Sainte qui, au travers la déploration de la destruction du Temple de Jérusalem, expriment pendant le Triduum Sacrum la douleur du calvaire. Suivant la pratique de Cour du voisin royaume, Fiocco écrivit des Lamentations non pour le samedi mais pour les mercredi, jeudi et vendredi. « Une excellente combinaison entre les qualités hautement émotionnelles et chromatiques des lamentations italiennes et l’équilibre structurel, la grandiloquence et l’ornementation mélodique de leurs homologues françaises » estime la notice du CD.

On se souvient des explorations partielles livrées par Louis Devos (Erato, 1985, couplé avec la Missa Solemnis), Catherine Greuillet (Syrius, 1996), Anne Mertens (Euphonia, 2001), Thomas Luks (Et’cetera, 2003), on se rappelle le cycle complet gravé par Roberto Gini pour le marginal label Giulia (1992). L’intérêt du présent double-album est non seulement de couvrir l’intégralité de ce Lamentationes Hebdomadæ Sanctæ, mais aussi et surtout de proposer, parallèlement aux manuscrits bruxellois, des éditions alternatives pour les Jeudi (première et troisième Lamentations) et Vendredi (troisième Lamentation), tirées des archives du Fonds Saint-Jacques d’Anvers.

Se démarquant de l’influence latine, pas de cordes pincées pour l’accompagnement, mais violoncelles, contrebasse et orgue. Cette interprétation enregistrée à Lisbonne coule avec délicatesse et fluidité. Rejointes par Hugo Oliveira dans deux Lamentations, les deux sopranos se partagent le corpus et laissent entendre une subtile différence d’approche. Transparence et pureté d’émission pour Ana Vieira Leite (Mercredi et Vendredi) qui sert une pudique émotion, sans faute de goût ni excès doloriste. Anna Quintans pour le Jeudi qui profite de son timbre chaud et de tournures plus recherchées. Malgré ces nuances dans la prestation vocale, qui modulent l’intérêt lors d’une écoute intégrale, le lien tissé par la petite équipe instrumentale permet un harmonieux parcours. Émané des Pays-Bas méridionaux, ce tribut aux larmes du prophète Jérémie se pourvoit d’un nouveau jalon qui comptera dans la discographie de l’œuvre.

Nous avions beaucoup apprécié les cantates en premier enregistrement mondial, dirigées par Christian Bonath. Chez le label CPO, Florian Heyrerick (février 2016-janvier 2020) se penche depuis quelques années sur la même thématique pascale. Le catalogue de Christoph Graupner, riche de plus de mille-quatre-cents cantates, reste largement à défricher. Franz Vitzthum et Georg Poplutz ont souhaité conjoindre leur art dans un récital d’airs et duos. Leur anthologie s’alimente à des cantates pour le temps de Pâques au sens large, incluant le dimanche de Rogate et l’Ascension : Frohlocke werte Christenheit, Christus ist nicht eingegangen, Sein Rat ist wunderbarlich.

Vocalement, le ténor et le contre-ténor nous livrent une interprétation chaleureuse, colorée, zélée, qui n’encourt guère de reproche, et ravit souvent. Hélas, l’accompagnement orchestral s’avère pâlichon et se tamise dans un relief des plus timides, très en retrait de l’engagement des deux chanteurs, ce qui dépareille la prestation et relativise l’attrait du disque. D’autant que l’Ouverture pour cordes et basse continue et le Double Concerto qui occupent une petite moitié du programme drainent un redoutable ennui faute de différenciation des climats, de variété expressive, et de relief. Ce minimalisme restreint l’intérêt de l’album, on regrette de l’avouer.

Ramée = Son : 9 – Livret : 9 – Répertoire : 8,5 – Interprétation : 9

Accent = Son : 8 – Livret : 9 – Répertoire : 7,5 – Interprétation : 5 (orchestre) / 9 (chant)

Christophe Steyne

 



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