Carte Blanche à Gustavo Dudamel

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Gustavo Dudamel, directeur musical de l’Opéra de Paris, confie son admiration pour « Bernstein qui a su brillamment articuler sa pratique artistique et son engagement dans la société, surtout auprès des jeunes générations. Dans la continuité d’engagements généreux, il a choisi pour sa « carte blanche » un programme lyrique incluant deux sopranos, une mezzo, une basse et de courtes interventions d’un ténor et d’un baryton. Déjà expérimentés, ils côtoient tous la trentaine et sont déjà distribués dans des rôles qui n’ont rien d’anecdotiques tel celui de Zuniga dans Carmen ou la Première Dame de La Flûte enchantée. 

Quant au répertoire de Music Hall et de Zarzuela, unissant compositeurs catalans, argentins à Bernstein et Kurt Weill, il ravit public et mécènes.

La soirée s’ouvre avec les Bachianas brasileiras N°5 du Brésilien Heitor Villa-Lobos suivies d’une délicate mélodie. Au centre des huit violoncelles de l’Orchestre de l’Opéra, la soprano Martina Russomano allie le charme à la lumière d’une voix dont le legato et les aigus peuvent certainement gagner encore en épanouissement. L’expression reste simple et fidèle à l’esthétique d’un répertoire parfois âpre qui recherche plus l’émotion que le « joli ». 

Le Divertimento pour Orchestre (II) de Léonard Bernstein permet à l’ensemble de prendre sa vitesse de croisière. La soprano italienne aborde ensuite une mélodie tendrement érotique de Fernando J. Obradors (Canciones clasicas espanolas « Del cabello mas sutil ») et se montre un peu plus tendue dans « La Maja y el Ruisenor » (Enrique Granados). Entretemps, l’Intermezzo (tableau 1 sc. 4), extrait également des Goyescas, fait valoir des coloris instrumentaux doucement chatoyants.

Les déclarations d’amour se succèdent, plus inattendues les unes que les autres. C’est d’abord un arbre épris d’une rose (Carlos Guastavino, La Rosa y el Sauce), mélodie interprétée par la soprano Margarita Polonskaya. Un vieux pêcheur exprime ensuite une passion aussi dévorante que fatale pour sa barque (Salvador Codina La Galeota n° 6 Romance de Saül - « Mi barca vieja »). La basse Alejandro Balinas Vieites lui prête une belle intensité portée par un timbre chaud et sonore -sa mélodie précédente, Oblivion ( Astor Piazzola ) feutrée par le micro ne lui ayant pas donné l’occasion de déployer son réel potentiel.

Enfin, les aveux enflammées atteignent un sommet de dérision avec l’« Ice Cream Sextett » (Kurt Weill Street Scene I) qui réunit Thomas Ricart (ténor) percutant, Andres Cascante (baryton) plus discret mais à l’émission franche et solide, sans oublier Marine Chagnon, pleine d’à propos.

Cette dernière s’impose magnifiquement après l’entracte, d’une voix souple et ambrée, grâce à ses dons d’actrice dans la longue et hilarante scène « What a movie ! » de Léonard Bernstein (Trouble in Tahiti Scène 6).

Naturellement, la Zarzuela est de la fête avec Margarita Polonskaya, délicate et émouvante Paloma (Francisco Asenjo Barbieri El barberillo de Lavapiés).

Toutes les deux se retrouvent dans les bras l’une de l’autre à la fin du duo « A boys like that » extrait de West Side Story.

Du maître du tango argentin, Horacio Salgan, le chef a choisi A fuego lento pour entraîner son orchestre en pulsation syncopées où il évolue avec une grande finesse. Il enchaîne avec « Times Square », allegro coloré émaillé d’ironiques solos de cuivres (Three Dance Episodes extraits d’On the Town) .

 Le final revient à Kurt Weill avec la complainte « Youkali » (Marie Galante) répartie entre les membres du Sextett.

Le chef reste délibérément en retrait. Il reprend la baguette en bis pour faire à nouveau l’éloge de la crème glacée, du hot dog et de l’extase vanillée, à la grande joie de l’assistance.

Dérision certes comique mais qui, dans la majestueuse salle Garnier, teinte cette nostalgie chère à Gustavo Dudamel d’une pointe d’amertume.

Une démonstration qui demande à être élargie aux chœurs et aux différents corps de métier de l’opéra.

Paris, Opéra Garnier, le 25 janvier 2023

Bénédicte Palaux Simonnet

Crédits photographiques :  Elisa Haberer – OnP



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