Pauline Klaus, la Montagne magique et les rencontres musicales d’Assy
Formée au CNSM de Paris pour la musique et à la Sorbonne pour la philosophie, la violoniste Pauline Klaus est passionnée par la musique de chambre et les répertoires contemporains. Avec ses complices du Quatuor Lontano, elle vient de faire paraître un album autour de la musique pour quatuor de Stravinsky. Elle est également en charge de la direction du festival des rencontres musicales d’Assy.
Au début de l’année 2023, vous avez fait paraître un album intitulé “La Montagne Magique”. On pense naturellement à Thomas Mann, mais cet enregistrement propose une intégrale de la musique pour quatuor de Stravinsky, mise en perspective avec des partitions de Ravel, Copland, Berio et Nowak. Pourquoi ce titre ?
Pour notre deuxième disque, nous avions envie de proposer un album qui raconte une histoire : c’est pourquoi nous avons fait le choix de ce titre, qui est en effet un clin d’œil à Thomas Mann. La Montagne magique raconte la fondation de notre quatuor, à la façon d’un retour aux origines : cette montagne, c’est celle sur laquelle est construite le village du Plateau d’Assy (Haute-Savoie), qui est un peu le berceau du Quatuor puisqu’elle nous accueille depuis nos débuts, notamment l’été où depuis 8 ans le quatuor est au cœur du festival des Musicales d’Assy.
Ce lieu, grandiose, est imprégné d’une histoire, presque d’une légende, très forte, qui fait irrésistiblement penser au grand roman de Thomas Mann : construit dans les années 20, le village d’Assy a connu ses riches heures avec la construction des grands sanatoriums de montagne, et doit en particulier sa notoriété à son église extraordinaire, chef d’œuvre de l’art moderne. Il se trouve qu’il a également accueilli le compositeur Igor Stravinsky, dans un moment décisif de sa vie (au tournant de la fin des années 30, juste avant son départ de l’Europe pour les Etats-Unis).
Cet album est donc à la fois une plongée dans l’histoire de notre quatuor ; un hommage à Igor Stravinsky ; et une invitation à laisser l’auditeur découvrir un répertoire en grande partie rare au disque, en compagnie des artistes que nous avons invités à nous rejoindre.
Pourquoi avez-vous choisi Stravinsky comme thème principal de cet album ?
Les visites d’Igor Stravinsky à Assy sont une partie intégrante de la « légende » du lieu ; mais au-delà, il s’agit d’un compositeur fascinant, qui a traversé le siècle en s’imposant comme l’un des créateurs les plus marquants de son temps. Lui consacrer cette intégrale pour quatuor s’imposait donc de soi. Cette intégrale est courte (une vingtaine de minutes), mais elle permet de cerner une diversité et un foisonnement passionnants, typiques de l’écriture, de la « patte » de Stravinsky. C’est cette densité qui nous a attirés : la plupart de ces pièces ont été orchestrées ou réécrites ultérieurement (les Trois pièces, le Concertino), mais la version originale pour quatuor permet en quelques traits de saisir toute l’inventivité de Stravinsky, mais aussi la précision extrême de son écriture. De plus, cet ensemble de pièces reflète la grande diversité de styles qui caractérise le cheminement du compositeur : la modernité et l‘énergie rythmique des ballets russes, le folklore bigarré, presque criard, de l’Histoire du soldat, l’enracinement dans la culture russe et la liturgie orthodoxe, et plus tard l’exploration du dodécaphonisme…
Cet album s’inscrit un peu en miroir des Musicales d’Assy ? Pouvez-vous parler des liens entre les 2 ?
En nous lançant dans ce deuxième album du Quatuor Lontano, nous avons choisi de l’ouvrir à nos partenaires habituels du festival, avec lesquels nous nous sommes produits au cours de nombreux concerts de musique de chambre, pour les associer à ce projet et fêter ensemble ces aventures nées aux Musicales d’Assy.
A côté des pièces pour quatuor, nous avons donc enregistré plusieurs œuvres en formation élargie, dont certaines dans des arrangements originaux, comme nous le faisons chaque année au festival : aussi, le Tombeau de Couperin de Maurice Ravel est ici interprété dans un arrangement original pour 8 instruments du compositeur Antonin Rey, une commande du festival. D’autres œuvres ont été choisies car elles avaient été particulièrement marquantes dans l’histoire du festival, telle les Folk songs de Luciano Berio ou le quatuor « A string quartet is like a flock of birds » de Paul Novak.
Par rapport aux Musicales d’Assy, ce festival s’inscrit dans un lieu à la forte dimension architecturale, l'Église Notre Dame De Toute Grâce ? Pouvez-vous nous parler de ce lieu et de sa place dans la programmation du festival ?
L’église d’Assy est un lieu unique, né d’une idée : faire appel aux plus grands artistes du temps (en 1938) pour revivifier l’art sacré, en s’écartant de l’art académique. Derrière cette construction se dresse un message fort. Les artistes qui ont participé, Chagall, Léger, Matisse, Rouault, Germaine Richier, Braque, Bonnard… sont de cultures, de confessions différentes : mais tous ont offert une œuvre pour cet édifice au message puissant. Et comme aiment à le rappeler les familiers de ce lieu magique, nul ne leur a demandé en retour leur certificat de baptême…
Ce lieu magnifique est donc un écrin exceptionnel pour le festival, et aussi inspirant pour les artistes, musiciens et compositeurs qui y séjournent. Dans la lignée de l’histoire d’Assy, la création tient une part importante : en 2022, le festival a ainsi accueilli un Appel à compositions, lancé par le Quatuor Lontano, auquel ont été présentées plus de 400 œuvres… Parmi les trois lauréats retenus, c’est le talentueux jeune compositeur américain Paul Novak (24 ans) qui a été choisi par le Quatuor pour figurer sur l’album ; il a également été récompensé par un Prix du public à l’issu du festival.
En parcourant la programmation 2023, je vois une randonnée musicale. Est-ce qu’il s’agit d’une matérialisation d'une montagne magique ? Pouvez-vous nous présenter cette activité pédestre et musicale ?
En effet, il s‘agit d’une expérience différente du concert : l’idée de cette randonnée était d’abord de pouvoir faire entendre la musique en pleine nature, dans deux lieux magnifiques en altitude, qui en seront les points d’étape : le refuge du Tornieux, et la Chapelle de Doran. L’atmosphère, la poésie particulière de ces deux rendez-vous apportent une émotion particulière au concert ; et le quatuor à cordes se prête merveilleusement à cette formule. Et bien sûr, le fait qu’artistes et spectateurs cheminent ensemble autour de ces concerts permet un partage qui en fait un moment particulier, notamment pour les plus jeunes…
Selon votre biographie, vous avez un grand intérêt pour le répertoire contemporain. Qu’est-ce qui vous attire vers les œuvres de notre temps, qui sont rarement des zones de confort ?
Peut-être précisément cette nécessité de sortir des habitudes, de se mettre au défi d’esthétiques nouvelles… pour un interprète, se trouver surpris, parfois dépaysé face à un langage qu’il lui faut « apprivoiser » est une expérience qui permet de se ressourcer, parfois aussi de se remettre en question… Bien sûr, ce n’est pas tout : au-delà de la nouveauté ou de l’originalité d’une œuvre, il y a des rencontres qui débouchent sur une entente, une affinité particulières : il est alors très gratifiant de pouvoir défendre et promouvoir un compositeur vivant, lorsque se noue une véritable « amitié » artistique. Ces complicités deviennent des histoires passionnantes quand elles s’écrivent dans le temps.
Le site de Pauline Klaus : www.paulineklaus.com
A écouter :
" La montagne magique ". Oeuvres de Aaron COPLAND – Maurice RAVEL – Igor STRAVINSKY – Paul NOVAK – Luciano BERIO. Quatuor Lontano: Pauline Klaus, violon – Florent Billy, violon – Loïc Abdelfettah, alto – Camille Renault, violoncelle. Invités: Amaya Dominguez, mezzo-soprano – Samuel Bricault, flûte – Antoine Cambruzzi, clarinette – Sylvain Devaux, hautbois et percussions – Constance Luzzati, harpe – Quentin Dubreuil, percussions – Violaine Debever, piano – Antonin Rey, direction. 1 CD Cascavelle.
Crédits photographiques : DR
Propos recueillis par Pierre-Jean Tribot