Pene Pati, « Il Bravo ! »

par

« Nessun dorma ». Pene Pati et Amltai Pati, ténors ; Amina Edris, soprano ;  Orchestre National Bordeaux Aquitaine, direction Emmanuel Villaume.  2024, livret anglais, français, allemand, 78’54’’, Warner classics 5054197897702.

Pour son deuxième disque, le ténor Pene Pati venu des antipodes a choisi de s’entourer de son frère, Amitai et de sa femme, la soprano américano-égyptienne Amina Edris. Le programme met en valeur cette configuration tout en illustrant les emplois actuels et les rôles à venir du chanteur samoan.

La diversité des objectifs suppose un programme très éclectique où la langue française tient une place de choix. Pene Pati dispose d’un atout maître avec l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine et son chœur placés sous la direction inventive et précise d’Emmanuel Villaume. Sous tension, il trace des perspectives changeantes, nuance en souplesse suggérant un climat dramatique où les voix trouvent naturellement leur place.

Les chevaux de bataille favoris des ténors sont au rendez-vous. A commencer par Nessun dorma - intitulé de l’album. Le legato souverain, la longueur du souffle, le moelleux du timbre qui font triompher l’interprète à travers le monde s’illustrent à travers l’interprétation fine et sensible de « Che gelida Manina » de La Bohème (Puccini). Et l’on comprend pourquoi ce Rodolfo apparaît comme l’un des plus touchants des scènes actuelles.

Côté rareté, l’air de Faust (Gounod) s’enrichit de sa suite « C’est l’enfer qui t’envoie » - habituellement supprimée. Elle permet de faire ressortir le contraste avec « Salut ! Demeure chaste et pure » tout en offrant une première mondiale au disque.

Au fil du dialogue de l’Amico Fritz (Mascagni), un peu longuet, ou encore dans la Favorite (Donizetti), l’émission peut paraître légèrement ouatée - « Anche si pur… anvolé vous pour chamais » pour « Ange si pur, envolez -vous pour jamais » - vétilles car la diction française d’ensemble se révèle irréprochable.

Paradoxalement, ce léger empâtement se fait douceur chez Massenet et Berlioz : « Ah fuyez, douce image » de Manon, « Pourquoi me réveiller » de Werther et « Nature immense » de La Damnation de Faust offrent trois moments de poésie et d’intériorité. La technique s’efface, les aigus se placent naturellement sans ostentation. Le galbe de la voix semble tracer son sillage dansant sur la houle orchestrale qui le porte -une très belle osmose musicale.

De Donizetti sont présentés plusieurs airs : le rare Dom Sebastien et des pages plus fréquentées de La Favorite à Lucia di Lammermoor. Pene Pati s’y montre moins personnel avec quelques aigus appuyés (« Di chi moria per te »).

En revanche, Verdi (Macbeth) donne l’occasion à l’orchestre de se déployer à nouveau, électrisant chœur et chanteurs. Parmi eux le jeune ténor Amitai Pati et les chœurs de l’Opéra National de Bordeaux se distinguent par leur souplesse et leur musicalité.

Présenté en guise de conclusion, le début de l’Acte III de La Juive, opéra emblématique de Fromental Halévy, réunit les trois interprètes. Le timbre clair et gracieux d’Amitai Pati se prête à une séduisante incarnation du prince Léopold. Le style et le profil vocal de Pene Pati conviennent moins bien au personnage complexe d’Eléazar (créé par le ténor Adolphe Nourrit), tandis que la tessiture de la princesse Eudoxie met à l’épreuve le joli soprano d’Amina Edris en dépit d’une flatteuse prise de son.

Intéressante rareté, « Nous partirons ce soir ! » extrait de l’opéra «  médiévalo-wagnérien » Frédégonde laissé inachevé par Ernest Guiraud, attire particulièrement l’attention. Ce compositeur et professeur du Conservatoire doit sa célébrité au fait d’avoir complété les œuvres de ses confrères (récitatifs de Carmen et fin des Contes D’Hoffmann) comme d’ avoir été le professeur de Debussy, Dukas et, indirectement, Ravel à travers Gédalge.

Une autre de ses élèves, la compositrice Marie Aucoc, lui dédia un petit poème qui illustre assez bien son caractère : « C’était un maître étrange - Il naquit outre-mer (à La Nouvelle-Orléans)/ Et ne put rattraper une moitié de l’heure qui manquait à sa vie / Il n’eût point de bonheur ! - Toujours on l’attendait - C’était parfois amer/ De rester au piano – escomptant incertaine/ Un maître souvent muet et qui n’arrivait point. ».

Ce que l’on découvre ici n’a rien de terne, au contraire ! On reconnaît au passage « la patte » de Paul Dukas qui compléta l’orchestration. Teintes chatoyantes, passion, luxuriance instrumentale se résolvent en une formidable cavalcade finale tandis que le duo ténor- soprano unit fraîcheur et fièvre.

Enfin, la vaillance fraternelle irradie le duo d’Il Bravo de Saverio Mercadante... qui aurait pu prêter son titre à l’album.

Son 10 Livret 10 Répertoire 10 Interprétation 10 

Bénédicte Palaux Simonnet

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