Laurent Wagschal, intégralement Fauré 

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En cette année anniversaire Fauré, le pianiste Laurent Wagschal est la cheville ouvrière d’une intégrale dédiée au compositeur (Indésens Caliope Records), pas seulement une intégrale purement pianistique, mais aussi avec de la musique de chambre où il accompagne le violon et le violoncelle pour enregistrer les partitions que Fauré leur a réservé en duo avec le piano. Crescendo Magazine est heureux de s’entretenir avec ce musicien dont on suit avec fidélité les développements discographiques toujours impactants. 

Cette année marque les célébrations du Centenaire de la disparition de Gabriel Fauré. Mais qu’est-ce qui vous a poussé à enregistrer une intégrale de sa musique pour piano, mais aussi d’accompagner au piano des enregistrements de sa musique avec violon et violoncelle ?

J'avoue que dans un premier temps j'avais pensé enregistrer un album avec « seulement » une sélection de pièces. C'est Benoît d'Hau, producteur du label Indésens Calliope Records, qui m'a proposé (et convaincu) de réaliser cette intégrale de piano. La musique de Fauré m'est très chère et m'accompagne depuis mon enfance, après un temps de réflexion quant à l'ampleur de la tâche (il s'agit quand même de près de 5h de musique !), j'ai finalement accepté avec beaucoup d'excitation et d'enthousiasme, c'est toujours fascinant et un peu vertigineux de jouer l’œuvre intégrale d'un compositeur.

Quant aux intégrales des duos avec violon et violoncelle, ce sont des œuvres que je connais très bien depuis longtemps et que je joue régulièrement dans le cadre de mon ensemble le Déluge, c'était donc pour moi une évidence de les enregistrer cette année à l'occasion du centenaire de Fauré.

Quelles sont les qualités de sa musique pour piano ? Comment s’intègre-t-elle dans son temps ?

Chez Fauré, la mélodie et l'harmonie sont évidemment d'une qualité exceptionnelle ; elles sont d'ailleurs en corrélation et indissociables. Pour le thème extraordinaire du 6e Nocturne, par exemple, on ne sait finalement pas très bien si c'est cette mélodie magnifique qui génère l'harmonie, ou bien si c'est la mélodie qui émane de ces harmonies somptueuses.
L’œuvre pour piano de Fauré est indéniablement un jalon essentiel, un sommet du répertoire français, mais elle n'est pourtant pas reconnue à sa juste valeur et jouée autant qu'elle le mériterait. Ce sont des partitions ardues, souvent difficiles de lecture et exigeantes pour l'interprète. Il est à noter également que malgré leurs difficultés, ce ne sont pas des pièces impressionnantes et spectaculaires de virtuosité. Dans les rares pièces où l'on trouve de la virtuosité chez Fauré, comme par exemple dans les Impromptus ou les Valses-Caprices, elle n'est jamais démonstrative, elle demeure toute en finesse, en dentelle.

La musique de Fauré s'inscrit à la fois dans le XIXe siècle dans la lignée des grands compositeurs romantiques, mais aussi dans le XXe siècle pour les œuvres de la dernière période, très modernes d'une certaine manière par la singularité de leur harmonie, absolument unique dans l'histoire de la musique.

Vous êtes un très grand connaisseur de la musique française, ce dont témoigne votre discographie. Quelle est l'influence de Fauré sur les compositeurs qui l'ont suivi. En effet, on parle souvent de l'influence de Debussy et Ravel, mais rarement de celle de Fauré ?

Même s'il a été pendant près de dix ans professeur de composition au Conservatoire de Paris, et qu'il a eu dans sa classe un certain nombre d'élèves devenus compositeurs de premier plan (Ravel, Enesco, Florent Schmitt), Fauré n'a pas créé d'école ou de courant comme ont pu le faire Franck ou Debussy. Il a eu cependant une influence sur de très nombreux musiciens : assez marquée chez André Messager, plus ponctuelle et que l'on observe essentiellement dans les œuvres de jeunesse chez Georges Enesco, Charles Koechlin, Mel Bonis, Philippe Gaubert, Gabriel Dupont...

L’intégrale de la musique pour piano est annoncée comme la première, véritablement complète. Dès lors, en quoi cette somme sera-t-elle novatrice dans son intégralité ?

Mon intégrale inclut des pages de jeunesse composées entre 1863 et 1869, inédites de son vivant et qui ont été tout récemment publiées par les Éditions Bärenreiter : une Mazurke, un Prélude et fugue, une Gavotte ainsi qu'une courte et surprenante Sonate en fa majeur, écrite à 17 ans dans le style classique viennois, les trois mouvements prenant successivement pour modèle Mozart, Beethoven et Haydn.

Il ne s'agit certes pas de pièces essentielles, elles sont de la plume d'un très jeune musicien en formation mais elles ne sont pas du tout inintéressantes et ont de toute façon, selon moi, leur place dans le cadre d'une intégrale. J'ai choisi d'intégrer également dans cette intégrale les transcriptions réalisées par Fauré (ou très probablement réalisées par Fauré, un doute subsistant pour certaines, les éditeurs publiaient en effet à cette époque les transcriptions sans préciser par qui elles avaient été réalisées...)
Il s'agit de la Pavane et de trois extraits de la Suite de Pelléas et Mélisande : le Prélude, la Sicilienne et la Mort de Mélisande (la transcription de la Fileuse, quant à elle, a été réalisée par Alfred Cortot).

Dans le coffret de l’intégrale de la musique pour piano, les œuvres sont présentées de manière chronologique. Pourquoi avoir opté pour cette approche ?

La présentation par ordre chronologique permet de suivre l'évolution du style et du langage harmonique de Fauré, elle est essentielle pour la compréhension de sa musique, je n'imaginais pas procéder autrement. La présentation par cycles (les Nocturnes ou les Barcarolles ne sont d'ailleurs pas prévus comme tels par le compositeur, même si l'on peut très bien effectivement les jouer ainsi en concert) ne me semble pas du tout appropriée dans le cadre d'une intégrale.

Une intégrale c’est une somme, dès lors comment se prépare-t-on à l’enregistrement ?

La difficulté était de préparer l'enregistrement de près de 70 pièces, impossible évidemment de tout travailler en même temps ! Il m'a fallu donc établir un planning : choisir et se concentrer sur certaines œuvres un certain temps, puis les laisser reposer pour passer à d'autres. Et y revenir plus tard. Évidemment certaines partitions plus difficiles demandent plus de travail, plus de temps de mûrissement. Mais j'avais déjà travaillé et joué la plus grande partie de l’œuvre de Fauré.


La musique de Fauré est une merveille de style et de délicatesse, quels sont les secrets de son interprétation ? 

J'ai tenu tout d'abord à éviter des tempi trop lents et alanguis. En écoutant les quelques enregistrements existants de Fauré jouant ses propres œuvres (sur les pianos à rouleaux), on est frappé par ses tempi très allants ; je crois qu'on joue traditionnellement trop lentement la musique de Fauré. Sur ses manuscrits dont nous disposons, il inscrit des indications métronomiques très précises. Au premier abord, elles peuvent sembler parfois très rapides, mais je crois qu'elles donnent souvent exactement le tempo giusto. Je ne considère pas pour autant qu'il faut forcément respecter à la lettre ces indications métronomiques, le tempo dépend aussi tout d'abord de l'instrument sur lequel on joue, de l'acoustique du lieu... Enfin je pense qu'il faut bien avoir aussi en tête que cette indication concerne le début de l’œuvre, pas forcément toute la pièce.

J'ai voulu également éviter de jouer trop en demi-teinte et d'abuser de sonorités feutrées et vaporeuses. Je pense que la musique de Fauré réclame de l'expression, de la clarté et parfois de la fermeté également.

Enfin je me suis efforcé de ne pas trop « noyer » le discours dans la pédale ; quand l'écriture est touffue, la texture très fournie -c'est souvent le cas chez Fauré- il me semble important de ne pas abuser de pédales trop longues afin de conserver de la lisibilité. 

Est-ce que votre regard sur Fauré a changé au fil de cette aventure musicale et discographique ?

Non, mon regard sur Fauré n'a pas vraiment changé, j'ai par contre la sensation d'encore mieux le connaître ! Encore mieux comprendre et apprécier encore plus sa musique ! En enregistrant cette intégrale, j'ai été frappé par la qualité constante de toutes ses compositions. Il y a bien sûr des chefs-d’œuvre absolus qu'il faut placer au sommet : Thème et variations, la Ballade, certains Nocturnes et Barcarolles. Pour le reste de son œuvre, on peut préférer telle ou telle pièce, c'est une question de goût personnel, mais tout est de grande valeur musicale, rien n'est à laisser.

Au terme de cette aventure, est-ce que l’une ou l’autre de ces partitions a votre préférence ?

Impossible pour moi de choisir, je le aime toutes et il y en a trop ! Mais je voudrais en citer deux que j'affectionne particulièrement : les Préludes op.103 et les Pièces brèves op.84, deux cycles extraordinaires, inexplicablement pour moi méconnus et peu joués.

L'intégrale Fauré sur le site de Indécents Calliope Records : https://indesenscalliope.com

Crédits photographiques : Lyodoh Kaneko.

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