Pignolet de Montéclair : mini-drames d’amour pour flûte et voix
Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737) : Amour et trahison. Drames en miniature pour flûte et voix : Cantates, airs et Concerto n° 1 pour flûte et basse continue. Carrie Henneman Shaw, soprano ; Leela Breithaupt, flûte traversière ; Les Ordinaires. 2020. Livret en anglais. Textes des cantates et des airs en français avec traduction anglaise. 64.30. Naxos 8.573932.
Au mois de mai dernier, nous avons présenté dans ces colonnes l’opéra de Pignolet de Montéclair, Jephté, créé en 1732. Cette magistrale réalisation sonore, parue chez Glossa, auréolée d’un Joker absolu, mettait en lumière ce musicien qui a fait une grande partie de sa carrière dans l’orchestre de l’Opéra de Paris où il jouait la basse de violon ; il a composé des cantates, un ballet-opéra, un requiem, des motets et a rédigé une méthode pour le violon, première du genre en France. Le label Naxos propose une autre facette de son talent, dans le domaine des cantates précisément, mais aussi de la musique instrumentale. Sous le titre « Amour et trahison », l’ensemble Les Ordinaires, qui a gravé pour le même éditeur un CD consacré à de la musique à la Cour de Louis XIV (Couperin, Hotteterre, Lully, Marais et déjà Montéclair), apporte à ce dernier compositeur toute son attention, et en particulier à la flûte à laquelle Montéclair a dédié une série de partitions.
Ce CD est un panorama représentatif de plusieurs périodes créatives de Montéclair à travers trois extraits du Recueil d’Airs sérieux et à boire de 1696, deux cantates qui datent de 1706 et 1728, une Suite tirée du Premier Recueil de Brunettes et un concert pour flûte et basse continue, ces deux dernières oeuvres émanant des années 1721 à 1725. On notera que tous les textes des airs et récitatifs proviennent d’auteurs anonymes du temps ; Naxos a eu la bonne idée de les joindre en langue originale. Même si la prononciation française de la soprano américaine Carrie Henneman Shaw peut être considérée d’un bon niveau, l’initiative est utile. La cantatrice a étudié au Minnesota et se produit aussi bien dans la musique de notre temps que dans des pages des périodes prébaroque et baroque. Sa voix bénéficie d’inflexions souples et joue des émotions avec charme et habileté, mais se laisse parfois aller à une langueur compassée.
Le programme correspond bien au titre : il y est question d’amours déçues par des partenaires volages, de chagrin, d’ingratitude ou de destin funeste dû à l’infidélité. Mais l’amour apporte aussi des satisfactions, comme les charmes « bruns » qui sont aussi bien masculins que féminins. Le tout est construit sur fond mythologique, pastoral ou bucolique, on retrouve Bacchus et Ariane tout autant que les berger(e)s ou les innocents troupeaux. La flûte traversière de Leela Breithaupt vient souvent mêler sa légèreté fluide ou sa délicate nostalgie aux mots tendres ou synonymes de tristesse. Cette artiste, qui a travaillé avec Barthold Kuijken, a fondé l’ensemble Les Ordinaires, dans lequel on trouve également un violon baroque, une viole de gambe, un théorbe et un clavecin. Un concerto pour flûte et basse continue (le clavecin de Jory Vinikour) est inséré au milieu du programme. Il n’apporte rien à la gloire de Montéclair, et fait un effet de déjà entendu.
On admettra que l’écoute du disque en continu engendre de la monotonie, les airs chantés ou instrumentaux se situant la plupart du temps dans un même registre, destiné à une prestation intimiste que le sous-titre « drames miniatures » définit assez bien. Il plaira néanmoins aux amateurs de flûte et de voix mêlées, tout comme aux curieux, qui découvriront des pièces présentées ici pour la plupart en premier enregistrement mondial.
Son : 8 Livret : 8 Répertoire : 7 Interprétation : 7
Jean Lacroix