Giuseppe Sammartini : résurrection des sonates pour flûtes à bec, sous de suprêmes auspices

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 Giuseppe SAMMARTINI (1695-1750) : Concerto, Sonate, Sinfonie (Parma 6, 8, 9, 10, 12, 13, 14) pour flûte à bec et basse continue. Andreas Böhlen, flûte à bec ;  Michael Hell, clavecin ; Daniel Rosin, violoncelle ; Pietro Prosser, luth. Septembre-octobre 2018. Livret en anglais, allemand, français. TT 73’27. Aeolus AE-10306

 Frère aîné de Giovanni Battista qui fut un des précurseurs de la symphonie classique, né à Milan d’un père français qui lui enseigna le hautbois, Giuseppe en devint un des plus grands virtuoses de l’époque. Il brilla dans les orchestres londoniens (dès 1729) avant d’être employé auprès du Prince de Galles (1736) jusqu’à sa mort. Il jouait aussi de la flûte, pour laquelle il écrivit une trentaine de pièces avec basse continue, conservées aux États-Unis (Eastman School of Music de Rochester) et primitivement à Parme (Biblioteca Palatina), laissant supposer qu’elles datent d’avant le départ pour l’Angleterre, où d’ailleurs l’instrument déclinait au profit de la traversière. La majorité d’entre elles se destinent à l’alto, expliquant la tonalité dominante de fa majeur.

De récentes recherches exhument quantité d’œuvres pour flûte à bec archivées dans des collections de Venise ou Naples, attestant que Sammartini composa dans un contexte fertile, même s’il ignorait vraisemblablement les créations de Vivaldi. Ce qui ne l’empêcha pas d’imaginer un style original et innovant, tant pour la mélodie, l’harmonie et le rythme, assurant la transition entre la manière baroque et galante.

Les audaces structurelles se manifestent par exemple dans la Gigue finale du Concerto, en quatre parties dont la troisième (1’05-2’14) ménage de vigoureux contrastes chromatiques. Le Largo de la Sonate en sol mineur surprend par son cheminement improvisateur, un des traits marquants de cette production souvent imprévisible, que l’on retrouve dans l’Allegro morcelé de la Sinfonia en si bémol majeur. Ailleurs : syncopes, hoquets, fragmentation motivique, fausses cadences, étonnent l’écoute.

Les vingt-neuf pièces (précisons que les appellations de concerto, sonata ou sinfonia n’impliquent aucune notable différence de structure ou de style) ne bénéficient pas toutes d’une édition moderne et semblent plutôt délaissées. Hormis les contributions de Maurice Steger (Harmonia Mundi, 2007) et Stefano Bagliano (Brilliant, 2011), la discographie reste ainsi assez pauvre. On se réjouit donc de cet enregistrement qui laisse espérer (et désirer !) une intégrale. Andreas Böhlen n’en est pas à son coup d’essai. On se souviendra qu’en 2013, en complément des concerti grossi opus 5, il avait déjà gravé un concerto avec le Capriccio Barockorchester pour le label suisse Tudor.

Pour varier les saveurs, le virtuose allemand alterne en bouche trois modèles plus suaves les uns que les autres. Michael Hell emploie lui deux clavecins, l’un de facture italienne (d’après Aelpidio Gregori 1736), l’autre à deux claviers d’après Taskin (Paris 1769), dont la restitution en SACD (opulente dans l’extrême-aigu) préserve tout le bouquet d’harmoniques. Le continuo se réinvente à chaque œuvre, multipliant les configurations, et se dispensant même de violoncelle et du luth pour deux opus où le souffle dialogue avec le seul clavecin. L’excellente acoustique de la Chapelle Adullam de Bâle ménage une scène à la fois chambriste et aérée qui ventile cet accompagnement expert dans une perspective incroyablement réaliste. L’arsenal d’effets dont Sammartini innerve ses pages trouve en Andreas Böhlen un interprète à sa mesure. Goût parfait, sans concession à la futilité salonnarde ; technique impeccable et pure, sans une once de bavardage. Suprême en tout point. Admirable hommage à ce compositeur dont la notice nécrologique vantait « la sonorité la plus proche de la voix humaine que l’on ait jamais entendue ». Volume 1 ? Vite, la suite !

Son : 10 – Livret : 10 – Répertoire : 10 – Interprétation : 10

Christophe Steyne

 

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