Le piano d’Alan Hovhaness, ce dispensateur de générosité

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Alan Hovhaness (1911-2000) : Mystic Flute, op. 22 ; Pastoral n° 1 op. 111 n° 2 ; Suite for piano op. 96 ; Dance Ghazal op. 37a ; Achtamar op. 64 ; Two Ghazals op. 36 ; Sonata for piano « Cougar Mountain » op. 390 ; Consolation op. 419 ; Suite on Greek Tunes ; Love Song Vanishing Into Sounds of Crickets op. 327 ; Slumber Song op. 52 ; Macedonian Mountain Dance op. 144 et 144b. François Mardirossian, piano. 2021. Notice en français et en anglais. 60.47. Ad Vitam AV 220715.

D’une durée de deux minutes, Mystic Flute op. 22, a été composé par Hovhaness lorsqu’il avait 14 ans. Dans la présentation du programme qu’il signe lui-même, le pianiste François Mardirossian rappelle que Serge Rachmaninov joua cette miniature à plusieurs reprises en guise de bis à ses concerts, après que le jeune musicien lui en ait confié la partition. Une reconnaissance inestimable pour une page dans laquelle la main droite imite la flûte, et la main gauche la percussion. C’est avec cette pièce que Mardirossian ouvre son récital en hommage à Hovhaness, « dispensateur de générosité », selon la belle formule énoncée par le musicologue français Jean-Luc Caron, auteur d’ouvrages sur Nielsen, Sibelius, Grieg ou Saint-Saëns. 

Né dans le Massachusetts d’une mère écossaise et d’un père arménien né en Turquie, Alan H. Chakmakjian adopte pour patronyme celui d’Hovhaness au décès de sa mère en 1930. Il étudie le piano à Boston où il enseigne avant de partir pour New York. Il compose très jeune : deux opéras dès ses treize ans ! A la fin de sa vie, il sera à la tête d’un catalogue pléthorique : opéras, ballets, concertos pour de multiples instruments, musique de chambre et vocale, pages pour le piano, oeuvres orchestrales en grand nombre, dont 67 symphonies. Sans compter les multiples partitions détruites dans ses jeunes années.

Un texte biographique, signé par Amaury Cornu, un spécialiste de l’œuvre de Moondog, déjà servi par Mardirossian (Megadisc, 2019), nous apprend qu’attiré par ses racines musicales ancestrales, Hovhaness est proche de l’Eglise arménienne dont les chants traditionnels l’ont influencé. Il est aussi un admirateur de Sibelius auquel il rend visite en Finlande et avec lequel il va partager le goût des grands espaces. Son univers s’élargit avec la rencontre du frère de Ravi Shankar, Uday. Ce danseur éveille son intérêt pour la musique de l’Inde comme, plus tard, ce sera le cas pour celles de la Grèce, du Japon, de la Corée du Sud et de Hawaï (où Hovhaness sera compositeur en résidence). Il s’installe définitivement à Seattle où il décédera. Partisan immuable de la tonalité, Hovhaness est considéré, en raison de son style, comme un précurseur des minimalistes américains. Il dira de lui-même : Mon but est de créer de la musique, non pas pour les snobs, mais pour tout le monde, une musique qui soit belle et réconfortante. Tenter ce que les anciens peintres chinois appelaient ‘résonance spirituelle’ dans la mélodie et le son.

Le programme du présent album propose une vingtaine de pages constituant un panorama de sa création entre 1930 et 1989 ; pour chacune d’entre elles, le pianiste propose un commentaire éclairant. La Dance Ghazal op. 37a de 1930 est la plus ancienne publiée et révèle des raffinements mélodiques qui seront la constante de sa production. Avec Mystic Flute déjà évoqué, publié en 1937, et deux autres Ghazals de 1933, révisées en 1966, qui reflètent un poème d’amour persan du Moyen Age, avec évocation répétitive d’un bourdon indien, elles sont représentatives des années de formation. Le minimalisme n’est pas loin. Les deux danses virtuoses Macedonian Moutain dévoilent au contraire une explosivité rythmique, avec de forts contrastes qui montrent que Hovhaness est aussi un créateur qui peut manier les élans énergiques.

Pour les décennies 1940 et 1950, on découvre le folklore arménien dans Achtamar (1947), des allusions à une fête de mariage ou à la récolte du vin dans la Suite on Greek Tunes (1949), une berceuse, Slumber Song (1951), la pièce Pastoral n° 1 (1952), avec ses sons qui intriguent, ou, inspirée par l’Inde, la Suite for piano op. 96 (1954, révisée en 1967), avec, dans le mouvement final, Mysterious Temple, des effets de clusters, récurrents chez Hovhaness. Si la fin des années 1970 propose un émouvant Love Song Vanishing dédié à sa dernière épouse, elle incarne surtout un univers de délicatesse qui trouve son pendant dans la poignante Consolation de 1989. Au milieu de cette décennie 1980, la Sonata for piano Cougar Mountain est un hommage infiniment lyrique à une montagne ; les quatre mouvements, partage de romantisme et de sensations d’improvisation, évoquent l’ivresse des grands espaces et sont à rapprocher de la Symphonie n° 2 « Mysterious Montain » de 1955, une commande de Leopold Stokowski. A la tête du Symphonique de Chicago, Fritz Reiner en a gravé une version mémorable pour RCA en 1958.

Si Hovhaness est en général un transmetteur de la contemplation, voire de l’introspection, sa musique pleine d’originalité, qui se souvient aussi de Bach ou de Haendel qu’il admirait, se révèle toujours d’une séduisante poésie. Il est certain qu’elle parle au cœur avant tout, dans un geste fluide, empreint d’une subtilité et d’une délicatesse qui subjuguent. Ces aspects émotionnels sont admirablement rendus par François Mardirossian, qui a récemment donné chez le même éditeur une vision très convaincante des Etudes de Philip Glass (notre article du 27 juin dernier). Ce pianiste, qui a étudié à Lyon avant de passer dix ans à Bruxelles où il a été, au conservatoire de notre capitale, l’élève de Jean-Claude Vanden Eynden et de Dominique Cornil, devait en toute logique s’intéresser à Alan Hovhaness, dans la continuité de sa lecture, déjà évoquée, de pages d’un autre Américain, l’atypique Louis Thomas Hardin, dit Moondog. 

Comme pour son récent album Glass, Mardirossian a opté pour le superbe Stephen Paulello Opus 102, un instrument brillant, riche en dynamiques et en profondeur de son. Un choix des plus judicieux pour une musique gratifiante !

 Son : 10  Notice : 10  Répertoire : 9  Interprétation : 10

Jean Lacroix     



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