Portrait inabouti d’un orgue croate nouvellement restauré

par

Vox Humana. Œuvres de Juan Bautista Cabanilles (1644-1712), Olivier Messiaen (1908-1992), Antonio de Cabezón (1510-1566), Johann Sebastian Bach (1685-1750), Vincenzo Bellini (1801-1835), Bernardo Storace (c1637-c1707), Théodore Dubois (1837-1924) & anonymes croates du XVIIIe siècle. Improvisations de Bruno Vlahek (*1986). Bruno Vlahek, orgue de l’église Sainte Marie de la Miséricorde de l’île de Vis. Livret en croate, anglais. Août 2022. TT 46’41. Croatian Records CD6171842

Le présent album suscite autant d’intérêt que de frustration ! Sur le web, une vidéo lève le voile sur la résurrection de cet orgue niché dans la Crkva Blažene Djevice Marije od Milosrđa, dans la baie de Vis, une des perles de l’Adriatique. On se prend à rêver devant ces magnifiques paysages viticoles où stridulent les sauterelles -on les entend au loin sur certaines plages clairsemées, quitte à parasiter certaines comme la deuxième, d’autant que le fort niveau de gravure rehausse le bruit de fond. On s’émeut de ces multiples témoignages qui soulèvent la sympathie pour les personnes qui ont œuvré en faveur du projet. On se captive pour ces images de la restauration et de l’installation dans l’église. Hélas, à l’encontre d’un tel événement, tellement attachant a priori, le livret du disque assure le service minimal envers le mélomane légitimement curieux.

Pingre en illustration : une seule photo, les tuyaux sur l’établi –le comble pour un site aussi touristique et un patrimoine aussi rare qui ne demande qu’à être valorisé. Pauvre en explication : rien sur les registrations employées. La composition à la console (une vingtaine de jeux sur un clavier coupé et pédalier) n’est même pas indiquée. Pourtant, l’occasion était belle : c’est la première fois qu’un des quatre orgues de l’île recevait l’honneur d’un enregistrement, stimulé par la rénovation de cet instrument et de son buffet, entreprise en 2014, alors qu’un obus l’avait endommagé pendant la Seconde Guerre mondiale et soumis pendant sept décennies à un fonctionnement sous bricolage. Les travaux financés par le Ministère de la Culture croate en ont révélé la paternité, attribuée à Ettore del Chiago (1886). Sa facture dérive de l’école nord-italienne, quoique dans le clip l’interview du maître d’atelier Heferer relativise l’influence vénitienne pour les anches.

Autre déception : la durée bien courte (trois quarts d’heure), et qui n’enrôle pas que des pépites. Même J.S. Bach apparaît au gré d’un fade diptyque. Le portrait pouvait laisser espérer un panorama d’autant plus généreux que l’éclectique programme a choisi de ratisser large, jusqu’à l’hétéroclite et l’anachronisme. Les époques et les styles y alternent sans vergogne. Il fallait oser flanquer la Monodie de Messiaen entre un Tiento de Cabezón et une Batalla de Cabanilles ! Celle-là abordée dans une veine bruitiste, avec des grondements fauteurs d’arythmie, à l’instar de l’anonyme sonate en ut. Sur un tel instrument, on s’attend davantage à une Sonate de Bellini (jouée avec art et faconde, –la perle de ce CD) et à un Balletto de Storace qu’à la Toccata de Théodore Dubois, revisitée avec une effervescence inattendue.

Le talentueux Bruno Vlahek nous offre de son cru une Méditation évoquant le cadre naturel du lieu, et une improvisation inspirée par un chant liturgique tout aussi local. Ces contributions de terroir alimentent le charme de cette carte postale en musique, alléchante mais inaboutie. On regrette qu’elle n’ait pas mis tous les atouts de son côté, car cette initiative le méritait. Du moins, le vivifiant relief de la captation nous donne l’impression d’y être et participe au dépaysement, cigales incluses.

Christophe Steyne

Note globale : 4

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