Le violoncelle de Giovanni Sollima pour le cosmopolitisme de Venise

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Al-Bunduqiyya. The Lost Concerto. Giovanni Sollima (°1962) : Moghul ; Il concerto perduto, d’après Vivaldi ; Cinq Improvisations pour violoncelle seul ; The Family Tree. Antonio Vivaldi (1678-1741) : Concertos pour violon et violoncelle en fa RV 544 « Il Proteo », en la RV 546 « all’inglese », et en si bémol RV 547 ; Dorilla in Tempe RV 709 : Sinfonia ; Concerto pour violon en ré RV 208 « Grosso mogul », extrait. Giuseppe Tartini (1692-1770) Aria del Tasso e gondoliere : « Lieto ti prendo e poi », transciption Sollima. Pages traditionnelles chypriotes et albanaise. Giovanni Sollima, violoncelle ; Federico Guglielmo, violon ; Il Pomo d’Oro. 2022. Notice en anglais. 74’22’’. Erato 5054197917523.

Originaire de Palerme, où il a étudié au Conservatoire local avant de se perfectionner à Stuttgart auprès d’Antonio Janigro et de Milko Kelemen, puis au Mozarteum de Salzbourg, le violoncelliste et compositeur sicilien Giovanni Sollima (°1962) se montre depuis longtemps intéressé et inspiré par des univers variés, dont font partie, au-delà du classique, le jazz et le rock, mais aussi les traditions de la région méditerranéenne. Une discographie relayée par des labels comme Agora, Nonesuch, Sony ou Cobra Records atteste de ses goûts multiples et originaux. Le présent album, au titre qui pique la curiosité, en est une nouvelle démonstration. 

Al-Bunduqiyya est le terme arabe pour désigner la cité de Venise, ciblant la diversité et le mélange des peuples qui ont toujours animé le lieu. Des éléments orientaux se retrouvent dans la configuration même de Venise, avec ses dédales de ruelles étroites et ses vestiges de noms de rues au parfum étranger, ou dans son architecture. Cette ville interculturelle avait de bonnes relations avec le monde musulman au XVIIIe siècle, les comptoirs de commerce fonctionnaient bien, de même qu’avec la Méditerranée orientale et avec l’Asie. Le terrain était fertile pour une floraison des arts, y compris dans le domaine de la musique.

Le présent programme conjugue à deux figures fondamentales du temps, Vivaldi et Tartini (ce dernier n’est toutefois présent que très brièvement), la solide inspiration de Giovanni Sollima. Concrètement, cela donne une sorte de jeu de miroir entre ce dernier et les pages du XVIIIe siècle. C’est explicite dans le récitatif du concerto RV 208 « Grosso moghul », auquel fait écho le Moghul (2018) de Sollima, au parfum évocateur. On peut aussi considérer que la fragrance se prolonge dans Il Concerto perduto (2021), d’après un fragment d’un concerto pour violoncelle de Vivaldi conservé au Conservatoire de la Cité des Doges, arrangé par Sollima avec une fine vitalité. 

Dans cet enthousiasmant hommage jouissif rendu au violoncelliste  sicilien qui est en tête d’affiche, on découvre une alternance entre des arrangements de trois pages traditionnelles chypriotes et d’une albanaise (rendues avec verve), trois concertos pour violon et violoncelle de Vivaldi, une Sinfonia tirée de son drame héroïco-pastoral Dorilla in Tempe RV 709 (1726), où la nature est omniprésente, un bref extrait d’une sonate de Tartini qui évoque le chant des gondoliers, et plusieurs œuvres originales, de courte durée, composées par Sollima lui-même Cinq chaleureuses improvisations pour violoncelle solo, de style minimaliste, se faufilent avec à-propos, le tout étant couronné, en fin de parcours, par The Family Tree, dont l’appellation évoque encore la nature, qui est en filigrane de l’album. De façon éloquente, entre rythme et méditation, à la fois folklorique et d’essence classique, cette page virtuose pour cordes virevolte avec efficacité.

Au violoncelle, le jeu de Giovanni Sollima est toujours stylé, subtil et poétique. Le violoniste padouan Federico Guglielmo (°1968) est son partenaire ensoleillé pour les doubles concertos de Vivaldi. Quant à l’ensemble Il Pomo d’Oro, dont les performances sont toujours saluées avec des éloges mérités, il se révèle, grâce à des pupitres engagés, le complice collectif d’une aventure qui sert avec panache, dans un son excellent, la diversité de l’inépuisable multiculturalité vénitienne.     

Son : 9,5    Notice : 8,5    Répertoire : de 8 à 10    Interprétation : 10

Jean Lacroix

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