Pour Anna Vinnitskaya

par

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C’est un beau programme russe qu’offre la tournée qui conduit Anima Eterna et  Jos van Immerseel de Bruges à Göppingen (Bade-Wurtemberg), puis à Dijon, enfin à Aix-en-Provence : l’Ouverture de la Grande Pâque russe de Rimsky-Korsakov et la Suite de ballet n° 2 op.64 c de Roméo et Juliette de Prokofiev y encadrent la formidable Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachmaninov. A été ajoutée à la première partie la Vocalise de Rachmaninov. C’est surtout l’occasion d’écouter la trop rare Anna Vinnitskaya dont on se souvient qu’elle remporta le prestigieux Prix Reine Elisabeth en 2007. La pianiste russe, formée auprès d’Evgeni Koroliov à Hambourg où elle enseigne maintenant, s’est forgée depuis une réputation internationale. C’est le disque qui nous l’a révélée dans des programmes allant de Bach au XXe siècle, dont on retient particulièrement, outre les Russes, Brahms et Ravel.

Qui ne connaît l’Ouverture de la Grande Pâque russe composée après le Capriccio espagnol et Shéhérazade ? De dimensions aussi restreintes que le premier de ses poèmes symphoniques célèbres, on y retrouve tout l’art de l’orchestrateur, au service d’une partition grandiose comme fervente, de l’écriture la plus aboutie. Las, la direction, quelque peu indifférente, prosaïque, appliquée, scolaire réduit singulièrement l’œuvre. Alors que le recours aux instruments d’époque promettait les couleurs les plus justes, c’est fade, plat, dépourvu de plénitude comme de contrastes. Les solistes ne sont pas en cause. Tout se passe comme si le chef découvrait l’œuvre, le nez dans sa partition, incapable de modeler les plans comme les lignes, d’obtenir les articulations attendues. A-t-il seulement pris conscience du déséquilibre entre les cordes (dont l’effectif minimum souhaitable a été clairement indiqué par le compositeur, loin de ce que nous offre Musica Eterna) et les vents ? Oublions.

Vocalise, la dernière des Romances op.34 de Rachmaninov pour voix et orchestre a connu tous les arrangements possibles, les plus fréquents étant destinées à un instrument soliste et orchestre. Ce soir, la sucrerie nous est proposée par deux groupes de quatre violons placés aux extrêmes, sinon opposés, puisqu’ils jouent la mélodie. Le choix paraît malencontreux : ainsi positionnés, nos solistes, déjà à la peine pour nous donner un bel unisson dans leur propre groupe, sont encore davantage mis en péril. Le public, bon enfant, familier de la mélodie, apprécie. Pourtant, Franck Pourcel comme Helmut Zacharias, il y a plus de cinquante ans, n’avaient jamais cette enflure quelque peu vulgaire, y compris dans le répertoire le plus trivial.

Le thème du 24e Caprice de Paganini fut et demeure source d’innombrables compositions. La Rhapsodie opus 43, ultime œuvre concertante de Rachmaninov, nous en offre 24 variations qui constituent autant d’occasions propres aux expressions les plus variées. Certains virtuoses ne nous laissent pas ignorer la difficulté que présentent leurs sauts périlleux. Ici, rien de tel. Il ne s’agit pas pour elle de jouer théâtralement du piano, avec la violence associée à la coquetterie. Le jeu est puissant, sans hystérie, qui sait se faire aérien pour une beauté rare. C’est un magnifique Steinway de 1906 qui a opportunément été retenu. Son timbre nous change heureusement du métal percussif auquel nous ont accoutumé nombre d’interprètes : ici l’héritage de Chopin et de Liszt est magnifié dans une indéniable beauté formelle. Brillant comme rêveur, tendre, le piano respire le bonheur, souverain, d’une virtuosité fascinante. Anna Vinnitskaya joue, au meilleur sens du terme, se déjouant des extraordinaires difficultés techniques pour nous offrir une lecture habitée, versatile à souhait, puissante et percussive lorsque la partition l’appelle, poétique et sensible aussi, servie par un pianisme incroyable, avec des touchers aussi subtils que variés. A signaler son extraordinaire modestie souriante dans l’accomplissement de ce tour de force. L’orchestre fait le job avec honnêteté, mais le chef ne le contient pas dans plusieurs variations puissantes où il couvre le piano. Par contre les contrastes de tempi sont accusés, sinon les reliefs. Les soli permettent de valoriser les chefs de pupitres. Souhaitons que Anna Vinnitskaya puisse enregistrer cette Rapsodie dans les conditions optimales, avec un orchestre enflammé, incisif et lyrique, aux couleurs magnifiées par la direction.

Des sept pièces de la Suite de Prokofiev, le thème de la première est dans toutes les oreilles, tout comme celui du Dies irae que joue le piano, en contrepoint, dans l’andante (7è var.). Evidemment, les réserves émises sur l’orchestre sont confirmées : couleurs slaves un peu délavées, défraîchies, textures opaques, propos terne, ennuyeux, épais. En bis, les Danses polovtsiennes du Prince Igor, de Borodine, qui vaudront de nouvelles acclamations du public. Pour notre part, on oubliera, pour ne retenir que l’extraordinaire Anna Vinnitskaya.

Crédit photographique : © YB

Dijon, Auditorium, le mardi 3 décembre 2019

Yvan Beuvard

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