Le Printemps des Arts de Monte-Carlo (II)

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Le Printemps des Arts de Monte-Carlo se poursuit avec des concerts très variés qui proposent des œuvres allant du Moyen-Âge à notre époque avec des créations mondiales de musique contemporaine, dans des lieux aussi grandioses que atypiques.

La deuxième semaine a comblé les amateurs de musique de chambre grâce à deux concerts exceptionnels avec le Quatuor Voce. Le premier à la Salle Garnier avec un quatuor de jeunesse de Mozart, le Quatuor n°3 de Chostakovitch et celui de Debussy. Le lendemain, on change de lieu : à quelques dizaines de mètres de l’opéra, on découvre le One Monte-Carlo, l’une des tours érigées à la place du Sporting d'Hiver, le bel édifice Art-Déco construit par Charles Letrosne en 1932.  Au premier abord, on n'est pas sûr que l'acoustique de la salle plénière aux multiples fonctions appelée "Salle des Arts" soit adaptée à la musique de chambre. Le décor hollywoodien avec de fausses colonnes et fresques essayant de rappeler l'ancienne est plutôt de mauvais goût mais heureusement que les proportions et l'architecture de la salle donnent un résultat sonore satisfaisant. Au programme : le Quatuor n°21 KV.575 de Mozart, celui de Ravel et le Quatuor n°13 de Chostakovitch. 

Le Quatuor Voce, un des meilleurs quatuors français actuels, nous enchante par son interprétation marquant l'évolution stylistique des quatuors de Mozart, la confrontation de style des quatuors de Debussy et de Ravel qui semblent proches et relèvent de la même esthétique tout en étant très différents. Les quatuors de Chostakovitch constituent le journal intime du compositeur et les musiciens nous font revivre toutes les angoisses et les souffrances du compositeur. La complicité et la qualité du son produit par les quatre musiciens font qu'on a l'impression d'entendre un seul instrument avec 16 cordes. 

Un week-end est consacré en grande partie à l'Arménie avec une palette de propositions musicales. L'Orchestre National d'Auvergne est placé sous la direction de Roberto Forés Veses, son ancien chef principal. Le programme est constitué de partitions qui présentent toutes les combinaisons sonores possibles. Komitas est le compositeur emblématique de l'Arménie et on découvre 14  de ses pièces, retranscrites pour orchestre à cordes par le compositeur et violoncelliste arménien Aslamazyan.C'est un kaléidoscope sonore, plein de couleurs et de rythmes inattendus.

Le jeune compositeur français Bastien David explore à son tour les sonorités entremêlées des cordes. L'ombre d'un doute, concerto pour deux violoncelles et cordes, est une commande du Printemps des Arts. La rencontre intime entre les deux violoncelles solistes et l'orchestre à cordes est une expérience fascinante. Les violoncellistes Marie Ythier et Eric-Maria Couturier sont tour à tour complices et rivaux et font briller ou grincer leurs instruments. L'oreille est constamment étonnée. Le Divertimento de Bartók termine le concert.Le public acclame les merveilleux solistes, le prodigieux Roberto Forés Veses et son orchestre. En bis :  trois danses de Komitas

Le lendemain, on découvre la soprano arménienne Karine Babajanyan et le pianiste Vardan Mamikonian dans un programme de mélodies arméniennes de Komitas et d'autres compositeurs de ce pays. Ces chants sont envoûtants et touchent le fond du cœur. Karine Babajanyan a une voix chaude et épanouie et elle sait magnifier ces mélodies émouvantes.  Vardan Mamikonian retrouve le public monégasque qui l'a reconnu à ses débuts en 1992 après avoir remporté le Piano Masters.  Il est un partenaire musical exceptionnel. En seconde partie Karine Babajanyan séduit le public avec des lieder de Schumann et de Richard Strauss. Le public du One Monte-Carlo, bien représenté par la Communauté Arménienne, leur réserve une ovation enthousiaste.

Le dernier weekend commence dans un lieu plutôt insolite pour un concert, le Chapiteau de Fontvieille qui a été créé pour le Festival International du Cirque. Bruno Mantovani dirige l'Orchestre Philharmonique de Radio France et nous présente en création mondiale sa dernière composition Allegro Barbaro, concerto pour percussions et orchestre. C'est une œuvre captivante, qui permet au percussionniste-virtuose écossais Colin Currie de dévoiler toutes les possibilités des différents instruments qui font partie de son pupitre. Il possède un pouvoir magnétique qui fascine le public, composé ce soir également de jeunes scolaires, régulièrement conviés à certains concerts du Printemps des Arts. L'acoustique du Chapiteau se prête bien à ce répertoire.  Le concert débutait par le Quintette en sol mineur op.39 de Prokofiev, admirablement interprété par les membres de l'orchestre. C'est une œuvre peu jouée, pour une formation inhabituelle : hautbois, clarinette, violon, alto et contrebasse. La pianiste Anna Vinnitskaya et le trompettiste Alexandre Naty rejoignent l’orchestre pour le Concerto n°1 du même Chostakovitch. L’interprétation est idiomatique et contrastée.  Le concert se termine par Jeu de Cartes de Stravinsky, un autre joyau rarement joué qui explose en un festival de couleurs. 

Le Printemps des Arts n’oublie pas les plus jeunes avec une représentation unique intitulée  "Pierre et le Loup... et le Jazz". Commandé par le Festival de Jazz à Vienne, l'arrangement de l'Amazing Keystone Big Band propose une véritable traduction en jazz de Pierre et le Loup de Prokofiev, tout en préservant la dimension pédagogique. Le bouillonnant Amazing Keystone Big Band, composé de 17 musiciens exceptionnels, exprime à la fois l’esprit, l’âme des grandes formations de l’ère du swing, l’inventivité, l’ouverture et l’insolente virtuosité du jazz d’aujourd’hui. Les enfants sont fascinés, les yeux brillent de bonheur. 

Pour le concert de clôture, on retrouve l'Orchestre Philharmonique  de Monte-Carlo, sous la direction  du chef d'orchestre letton Andris Poga en compagnie de Renaud Capuçon, l’un des invités réguliers du Printemps des Arts. Cette année, il interprète Sur un même accord de Henri Dutilleux, entre les deux romances de Beethoven.  Renaud Capuçon arrive toujours à susciter l'admiration. Les romances de Beethoven sont exquises et raffinées et l'œuvre de Dutilleux défendue avec conviction. Le public ovationne et il offre en bis la merveilleuse Mélodie d'Orphée et Eurydice de Gluck.  La seconde partie est consacrée à la Symphonie n°15 de Chostakovitch. Andris Poga dirige l'orchestre avec précision et élégance dans cette œuvre étonnante par ses multiples citations. Pas de mouvements inutiles. Le résultat est étonnant. L'O.P.M.C. sonne brillamment, presque à la Russe. 

Bruno Mantovani a brillamment réussi sa première édition, on attend avec impatience la suivante.

Carlo Screiber

Crédits photographiques : FerranteFerranti

 

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