Pour fêter Penderecki

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Pour fêter dignement le 85ème anniversaire de Krzysztof Penderecki (né le 23 novembre 1933), son épouse Elzbieta a eu l’idée de lui offrir un cadeau sortant résolument de l’ordinaire sous la forme d’un festival consacré exclusivement à sa musique et composé de 11 concerts tenus sur 8 jours et s’achevant précisément le 23 novembre, jour même de l’anniversaire du jubilaire.

Le prestige du compositeur et les dons d’organisatrice comme le carnet d’adresses de Mme Penderecka (sans même parler de l’amitié que portent au couple nombre de musiciens de premier plan) ont visiblement accompli des miracles, cette semaine varsovienne ayant réuni des interprètes invariablement de haute qualité, où l’on trouve des stars telle que la violoniste Anne-Sophie Mutter ou l’altiste Youri Bashmet, les chefs d’orchestre Leonard Slatkin et Christoph Eschenbach, d’autres éminents musiciens comme le flûtiste Patrick Gallois ou le clarinettiste Michel Lethiec, mais aussi bon nombre de jeunes interprètes polonais et étrangers fort prometteurs et dont il sera question plus loin.

S’il est vu comme un véritable monument en Pologne, la réputation de Penderecki en Europe de l’Ouest a été fluctuante: adulé au temps de sa période avant-gardiste, mais assez sceptiquement accueilli après son inattendu virage néo-romantique amorcé à la fin des années 1970 et poursuivi jusqu’ici sans désemparer par un musicien dont la sincérité ne saurait cependant être mise en doute.

Rien donc de tel qu’une vaste rétrospective, offerte dans les meilleurs conditions possibles par des musiciens pleinement engagés dans la défense des oeuvres du Professeur Penderecki -comme on aime à l’appeler dans son pays- pour se faire une idée du parcours de l’artiste.

Votre envoyé spécial n’ayant pu assister à toute la semaine de festivités, je me suis limité à assister au concert d’inauguration du Festival Penderecki ainsi qu’à deux récitals de musique de chambre, genre que l’on associe moins spontanément au compositeur que ses vastes oeuvres orchestrales et chorales.

Alors qu’on se réjouissait de voir le concert d’ouverture -précédé comme il se doit de nombreux discours officiels- débuter par le poignant Thrène pour les victimes d’Hiroshima de 1960 qui fit tant pour la gloire du jeune compositeur, cette oeuvre majeure fut remplacée par une nouvelle et anodine musique de circonstance au parfum très 1850, une Polonaise de deux minutes à peine, célébrant le centenaire de l’indépendance de la Pologne en 2018. Les choses sérieuses allaient débuter avec le Concerto N° 2 pour violoncelle (écrit en 1982 pour Rostropovitch) où le  soliste Amit Peled se joignait à l’Orchestre symphonique de la Philharmonie de Varsovie placé sous la baguette sobre et sûre du chef Michal Klauza. On comprend facilement que ce type de musique plaise à un violoncelliste virtuose, avec ses grands épanchements et soliloques sombres sur fond d’orchestre apocalyptique où le compositeur peint plus à la spatule qu’au pinceau. On perçoit également dans certains épisodes l’ombre tutélaire de Chostakovitch, même si l’ironie du maître russe semble totalement étrangère au compositeur polonais. En dépit de son côté plutôt sombre et pesant (et d’un finale au caractère épisodique dont on se demande parfois où il va), l’oeuvre impressionne par une construction solide et bénéficia d’une interprétation exemplaire de la part d’un soliste et d’un chef totalement impliqués.

Pour la deuxième partie, l’orchestre et les choeurs varsoviens se retrouvèrent sous la baguette de leur chef titulaire Jacek Kaspzyk dans « Une mer de songes a soufflé sur moi… » Chants de réflection et de nostalgie (2010), vaste -plus de 50 minutes- fresque chorale et orchestrale de 21 mélodies sur de remarquables textes de poètes polonais romantiques et modernes. On sait que Penderecki a le don de l’écriture vocale, mais son néo-post-romantisme (au jeu des influences, on reconnaît, selon les moments, Strauss, Szymanowski, Puccini, Mahler et la musique d’église orthodoxe) fait qu’une impression d’accablement s’installe parfois, due aussi à des tempi uniformément modérés et une approche volontiers statique. L’oeuvre se termine cependant sur un Angélus prenant. Rien à redire en revanche sur l’interprétation, avec des solistes vocaux très convaincants: le baryton Mariusz Godlewski, la soprano Wioletta Chodowicz et, en particulier, la fine mezzo Malgorzata Panko-Edery.

Le premier concert de musique de chambre se déroula dans le cadre enchanteur du Théâtre royal situé dans le parc Lazienki, petit écrin d’environ 150 places, et s’ouvrit sur une transcription pour huit violoncelles (vous avez bien lu) de l’Agnus Dei du Requiem polonais, musique  lente sincèrement romantique voire légèrement grandiloquente, interprétée avec une conviction totale et à grands coups d’archets par un bel ensemble de jeunes solistes où l’on retrouvait avec plaisir Maciej Kulakowski, finaliste du Concours Reine Elisabeth. Mais la belle surprise était la brève et très intéressante Première sonate pour violon et piano d’un tout jeune Penderecki de 20 ans. L’oeuvre débute sur un Allegro à la Motorik très hindemithienne suivi d’un Andante au caractère de musique nocturne aux échos bartókiens et se conclut un finale plein d’énergie et folklorisant. Voici une oeuvre qui pimenterait certainement plus d’un récital violon et piano. La Deuxième sonate (1999) est beaucoup plus ambitieuse -elle dure plus d’une demi-heure- mais moins réussie. Le violon est très dominant dans le premier mouvement dans une écriture plus concertante que chambriste, même si, après un bref Allegretto scherzando, l’Adagio permet au violon de s’épancher dans une belle cantilène sur un accompagnement fluide du piano. S’ensuit un Allegro dramatique mais assez indigeste, avant que l’Andante final ne se résolve dans la sérénité. Excellentes interprétations du pianiste Lukasz Chrzeszczyk et des violonistes Marta Kowalczyk (très dynamique dans la Première sonate) et Ju-Young Baek (lauréate du Reine Elisabeth en 2001), à la belle sonorité et à la technique irréprochable dans la Deuxième. Le concert s’acheva sur la Chaconne à la mémoire de Jean Paul II (ici dans une version pour six violoncelles), oeuvre brève de style néo-baroquo-romantico-pompier bien faite mais, honnêtement, insignifiante.

Le dernier concert auquel il me fut donné d’assister nous amena dans les ors de la splendide Grande salle du Palais royal de Varsovie, et fut l’occasion d’entendre à nouveau la violoniste Marta Kowalczyk (jeu très sûr mais sonorité assez astringente) dans La Follia, oeuvre exigeante écrite pour Anne-Sophie Mutter où, après tant d’autres, Penderecki offre des variations -ici, neuf- sur le célèbre thème, et ce dans un style alternant le néo-baroque et le néo-romantique. La jeune violoniste se sortit brillamment de l’épreuve.

Lui succéda le violoncelliste allemand Danjulo Ishizaka qui offrit une version véritablement transcendante de la Suite pour violoncelle seul, composée sur une période de près de vingt ans entre 1994 et 2013, oeuvre qui exige autant de technique que d’endurance et où Penderecki se montre le plus souvent sous son meilleur jour. Superbe.

Retour au Penderecki première manière pour les réjouissantes Trois miniatures pour clarinette et piano, magnifiquement interprétées par Michel Lethiec et le pianiste Rostislav Kriner, et où l’on voit que le jeune Penderecki pouvait être plein d’esprit.

Ici aurait dû avoir lieu la première du Trio pour piano, violon et violoncelle de Penderecki, mais, le compositeur ayant pris du retard, elle fut remplacée par une belle interprétation du Trio de Debussy par le brillant Trio Penderecki.

Pour terminer le concert en beauté, l’excellent Quatuor de Shanghai se produisit d’abord dans le Deuxième quatuor (1968), brève oeuvre pleine de vitalité du Penderecki d’avant-garde et qui a bien vieilli. De quarante ans plus tardif, le Troisième quatuor « Feuilles d’un journal non écrit » est une très bonne surprise. Avec son beau solo d’alto introductif, il semble renvoyer au Premier quatuor de Smetana, et alterne aussi épisodes animés et lyriques qui rappellent par moments Bartók et Janàček, alors que certains passages font penser à Chostakovitch et d’autres encore, très viennois, à Mahler. Les amateurs de polystylisme à la Schnittke apprécieront. Désireux de ne pas rater son avion de retour, l’auteur de ces lignes ne put hélas entendre le Quatrième quatuor qui concluait ce beau concert.

Varsovie, 16 au 18 novembre 2018.

Patrice Lieberman

Crédit photographique :  Bruno Fidrych

 

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