Premier enregistrement mondial des Psaumes de Lewandowski

par

Louis LEWANDOWSKI (1821-1894) : Dix-huit psaumes liturgiques, pour solistes, chœur mixte et orgue. Lucia Megyesi Schwartz, mezzo-soprano ; Rozsa Kiss, soprano ; Viola Thurnay, alto ; Gabord Pivarcsi, ténor ; Szabolcs Hamori, basse ; Marton Levente Horvath, orgue ; Chœurs de la Radio hongroise, direction Andor Izsák. 2020. Livret en anglais et en allemand. Textes des psaumes en allemand avec traduction anglaise. 81.24. Deutsche Grammophon 483 7724.

Né à Wreschen (aujourd’hui Wrzesnia), à 45 kilomètres de Poznan, région qui faisait alors partie du royaume de Prusse, Louis Lewandowski, juif allemand, est issu d’une famille pauvre dont la mère décède lorsqu’il a treize ans. Il est alors envoyé à Berlin où sa belle voix attire l’attention, au point qu’il assure des services dans les synagogues locales. Il étudie à l’Académie des Arts de Berlin, dont il est le premier étudiant juif à pouvoir suivre les cours grâce au soutien du cousin de Felix Mendelssohn, Alexandre, qui va financer sa formation au cours de laquelle il apprend le contrepoint et l’harmonie. Il commence à composer des pièces à caractère religieux. Après une longue période de maladie nerveuse, il devient maître de chant de la communauté juive. En 1866, lorsque la grande synagogue de l’Oranienstrasse de Berlin est inaugurée en présence de Bismarck, Lewandowski est nommé directeur de ce lieu qui peut accueillir trois mille fidèles et qui dispose d’un orgue. Il compose de nombreuses œuvres liturgiques, des arrangements d’anciennes mélodies hébraïques et aussi, en 1879, les Dix-huit psaumes qui forment le programme du présent CD. En 1890, sa carrière est couronnée lorsqu’il est nommé professeur de l’Académie des Arts. Il est enterré au cimetière juif de Weissensee ; sur sa tombe, figure l’inscription : « L’Amour est un chant immortel ! ».

La présence d’un orgue dans une synagogue ne présente pas un caractère d’évidence. La notice, dont nous nous inspirons, explique que l’instrument est apparu pour la première fois en 1810 à Seesen, près de Hanovre, grâce aux libéralités d’un leader juif philanthrope, Israel Jacobson. Ceci provoqua un scandale dans la communauté juive allemande. Le Talmud signale la présence de plusieurs instruments lors des services du Temple à Jérusalem au moment de la destruction par les Romains en l’an 70 de notre ère, dont un magrepha, sorte de petit orgue à tuyaux en forme de cube. La communauté juive décida qu’en raison de la diaspora, la musique instrumentale et l’orgue seraient exclus des synagogues. La « querelle de l’orgue » qui suivit la mise en place de 1810 à Seesen aboutit à l’émergence d’un judaïsme libéral, ce qui eut pour conséquence de laisser aux communautés locales le choix ou non de la réintroduction de l’orgue. La tradition prévoyait aussi une stricte séparation des hommes et des femmes lors de la prière, ce qui rendait inacceptable, pour l’orthodoxie, la présence d’un chœur mixte et d’un orgue. L’initiative de Jacobson fut donc une révolution.

Lorsque Lewandowski termine en 1879 l’écriture de ses Dix-huit psaumes liturgiques, il les dédie au Roi Louis II de Bavière. Sur la page de titre de l’édition, la mention « pour chœur mixte et orgue » apparaît donc comme une provocation, d’autant plus qu’elle est augmentée d’une traduction allemande des psaumes choisis par le savant et chercheur Leopold Zunz (1794-1886), fondateur de la « Science juive » et initiateur de recherches critiques sur la littérature, l’hymnologie et les rituels juifs. La redécouverte de ces partitions est due à Dieter Adelmann (1936-2008), un philosophe allemand qui s’est intéressé à un autre philosophe, le Juif Hermann Cohen (1842-1918). Ce dernier avait épousé la fille de Lewandowski, Martha. Adelmann fit part de ses recherches à Andor Iszák, signataire de la notice et responsable musical du présent CD, qui entreprit la réédition des Psaumes en 1995. Réalisé en juin 2019 dans l’acoustique du Studio 6 de la Radio hongroise à Budapest, dont l’acoustique transparente est due au Prix Nobel biophysicien György Békésy, cette gravure est une première mondiale au disque.

La sélection des psaumes s’étale du numéro 23 (« L’Eternel est mon berger… ») au numéro 134, qui est le « Cantique des degrés », un appel à la louange. Certains ne reprennent que quelques versets. La plupart d’entre eux sont des cris de confiance (n° 25), d’appel à la justice (n° 36, 37), d’espérance (n° 39, n° 42), de certitude en l’Eternel (n° 46), ou en son refuge (n° 62) ou encore de repentance (n° 51). Tous sont propices au recueillement, à la méditation, à la reconnaissance envers Dieu, à la bénédiction, à la joie, au sentiment de protection, mais aussi à la réflexion sur la brièveté de la vie humaine. Le langage musical est très proche de la tradition chorale classique et romantique, avec des interventions solistes ou collectives en alternance, l’orgue assurant le maintien et la continuité de la majeure partie. La destination liturgique en étant la caractéristique première, l’écoute en continu peut amener une sorte de lassitude car le climat global revêt une certaine uniformité ; il vaut mieux privilégier l’audition sélective qui permet de mieux appréhender l’intense ferveur qui se dégage de cet ensemble à l’expressivité profonde et spirituelle.

Dans ce contexte, les solistes, parmi lesquels la mezzo-soprano Lucia Megyesi Schwartz occupe une place prépondérante, sont en parfaite adéquation avec l’atmosphère religieuse, baignée de douceur, de bienveillance, de paix et de sérénité. A l’orgue, Marton Levente Horvath, que l’on retrouve dans plusieurs productions du label Hungaroton, apporte un soutien efficace, d’un dynamisme discret. Quant aux chœurs de la Radio hongroise, ils sont chaleureux, vifs, émouvants ou enflammés selon les textes qui leur sont confiés. Leur justesse et leur équilibre forment la toile de fond de cet univers respectueux qu’Andor Izsák, qui a remis ces Psaumes de Lewandowski en lumière, illumine de son geste souriant et engageant.

Son : 10  Livret : 10  Répertoire : 8  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

 

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