Premier enregistrement mondial des sonates parisiennes des frères Duport

par

Jean-Pierre DUPORT (1741-1818) : Sonates I op. 1 ; Sonates IV et V op. 2. Jean-Louis DUPORT (1749-1819) : Sonates I, II et III op. 2. Guillermo Turina, violoncelle et Manuel Minguillon, archiluth et guitare baroque. 2020. Livret en anglais, en espagnol et en français. 65.41. Cobra Records 0073. 

Lorsque Beethoven compose ses deux premières sonates pour violoncelle et piano op. 5, il inaugure quasiment le genre de ce duo, le violoncelle s’étant peu de temps auparavant libéré de son rôle d’accompagnateur pour prendre une vraie place de soliste. Si c’est au Roi de Prusse que Beethoven dédie ces deux partitions à l’occasion d’une tournée de concerts, il les destine plus précisément au virtuose Jean-Pierre Duport, frère de Jean-Louis, un autre virtuose. Beethoven semble en avoir assuré la création lui-même avec Jean-Pierre Duport, devenu Surintendant de la musique de Frédéric II à Berlin. La notice du livret du présent CD Cobra rappelle que les frères Duport « sont deux musiciens qui comptent parmi les plus importants de leur époque. Si le violoncelle occupe la place qu’on lui connaît aujourd’hui, on peut dire que leur influence fut déterminante ». Nés tous deux à Paris, les deux frères y font leurs premières armes musicales. Jean-Pierre étudie avec Martin Berteau (1691-1771), considéré comme le fondateur de l’école française de violoncelle, et se produit dès 1761 avec sa première composition. Aux Tuileries, où des soirées sont organisées par le « Concert spirituel », il devient l’un des interprètes principaux et rencontre un grand succès. Son frère Jean-Louis, son cadet de huit ans, bénéficie de son enseignement et participe bientôt aux mêmes concerts. Tour à tour, mais pas ensemble, ils se produisent à Londres. En 1773, Jean-Pierre part pour l’Allemagne et travaille à la Cour de Frédéric « le Grand ». Il devient Surintendant de la musique, comme signalé plus avant. Jean-Louis vient le rejoindre en 1789 et il est engagé comme premier violoncelliste de la Cour. Haydn et Mozart vont composer pour eux. En 1807, Jean-Louis retourne à Paris après un passage par Marseille, à la Cour de Charles IV, ex-Roi d’Espagne. Il enseigne au Conservatoire sous les règnes successifs de Napoléon et Louis XVIII, tandis que Jean-Pierre demeure à la Cour de Prusse jusqu’à son décès en 1848 ; Jean-Louis ne lui survit qu’un an. Tous deux ont composé des sonates, des concertos pour le violoncelle (six pour Jean-Louis) et d’autres pièces variées pour l’instrument. Jean-Louis est par ailleurs l’auteur d’un essai théorique, une méthode qui a servi de base à la pratique du violoncelle moderne.

Ce CD Cobra présente des œuvres de jeunesse et de la période parisienne commune aux deux frères ; il s’agit d’un premier enregistrement mondial. Elles datent de 1766 et 1772 en ce qui concerne Jean-Pierre ; celles de Jean-Louis constituent l’intégralité de son opus 2, l’indication de leur année de composition n’étant pas précisée. Le violoncelle est ici accompagné par l’archiluth et la guitare baroque. Choix qui, précisent les interprètes, « pourra paraître quelque peu anachronique, vu qu’il s’agit là d’un répertoire proche du classicisme. Mais cette décision répond à notre souci de nous rapprocher au plus près du style et du son propre aux Duport, dans le cadre des soirées organisées par le Concert spirituel. Comme le révèlent de nombreux témoignages publiés dans le Mercure de France entre 1763 et 1765, Jean-Pierre Duport jouait de manière assidue dans les salons parisiens avec le luthiste Josef Kohaut, bien que l’instrument ne fût guère utilisé à l’époque. » Il faut reconnaître que le compagnonnage fonctionne de façon optimale, les instruments se répondant de manière dynamique ou langoureuse, voire sensuelle. Ces partitions, essentiellement destinées au divertissement et au plaisir sonore, apportent la confirmation non seulement du métier solide des frères Duport, mais aussi de leur maîtrise du violoncelle. Ces six sonates sont de la musique typique de salon, destinée à magnifier la dextérité et la virtuosité des solistes mais aussi à enchanter un public choisi. Telles quelles, elles symbolisent bien l’esprit de ces concerts programmés dans la capitale française quelques années avant que la Révolution ne vienne quelque peu modifier les données.

Les deux Interprètes sont espagnols. Le violoncelliste Guillaume Turina a fait ses études au Conservatoire Supérieur de Musique d’Aragon, avant de se perfectionner auprès d’Anner Bylsma ou Peter Wispelwey. Il a travaillé avec divers ensembles et s’est produit en soliste en récital ou dans des concertos du répertoire. Il est aussi musicologue et il a publié des travaux critiques sur le violoncelle en Espagne au XVIIIe siècle, ainsi que sur les frères Duport. Le Madrilène Manuel Minguillon est son partenaire à l’archiluth et à la guitare baroque. Après des études dans sa ville natale, une bourse lui a permis de se perfectionner à New York, notamment avec Paul O’Dette. Lui aussi se produit régulièrement en récital ou en concert. L’investissement des deux comparses dans ce programme Duport inédit apporte une chaleur et une couleur bien définies à des compositions qui ne sont sans doute pas de premier rayon, mais qui sont représentatives du talent et de l’importance des frères à la croisée des chemins entre le classicisme et le romantisme. Effectuée en Hollande, dans la Koepelkerk de Renswoude (en province d’Utrecht) en octobre 2019, la prise de son bénéficie d’une belle balance entre les instruments, dans un climat chambriste contrôlé.

Son : 9  Livret : 8  Répertoire : 8  Interprétation : 10

Jean Lacroix 

 

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