Première gravure mondiale de la Symphonie n° 1 de Charles Koechlin
Charles Koechlin (1867-1950) : Au loin, poème symphonique op. 20 ; Symphonie n° 1 op. 57 bis ; Trois mélodies op. 17. Patricia Petibon, soprano ; Württembergische Philharmonie Reutlingen, direction Ariane Matiakh. 2023. Notice en allemand et en anglais. Textes des mélodies insérés. 64’ 44’’. Capriccio C5533.
Pour le label Capriccio, la cheffe d’orchestre française Ariane Mathiak (°1980) a déjà enregistré, avec l’Orchestre symphonique de Bâle, la Seven Stars’ Symphony (1933) de Charles Koechlin, couplée avec le nocturne pour orchestre Vers la voûte étoilée ; Pierre Jean Tribot s’en est fait l’écho le 13 juillet 2022. Cette fois, c’est à une quarantaine de kilomètres de Stuttgart, avec l‘Orchestre de Reutlingen, dont elle est la directrice musicale depuis trois ans, qu’elle propose un nouveau programme consacré au compositeur parisien. Ce polytechnicien, fervent d’astronomie, qui se destinait à une carrière militaire avant de devoir y renoncer pour raison de santé, était passionné de musique depuis l’enfance. Il entra alors au Conservatoire de Paris, où il fut l’élève de Massenet, de Gédalge et de Fauré, qui l’inspirera beaucoup. Conférencier réputé, pédagogue estimé, théoricien de la musique - il a laissé un grand nombre d’écrits, dont un Traité de l’orchestration en quatre volumes -, il est à la tête d’un catalogue qui illustre plusieurs genres, en abondance dans le domaine orchestral ou chambriste.
Mais connaît-on vraiment l’œuvre de Koechlin, si peu présent sur les affiches de concerts ? Il existe des gravures de son Livre de la Jungle, vaste et grandiose composition polyvalente d’après Kipling, des Heures persanes, seize pièces pour piano qui ont fait l’objet d’une orchestration, ou du poème symphonique Les Bandar-Log, ainsi que de pages de piano ou de musique de chambre. Mais une partie de son répertoire demeure inexplorée. La présente gravure, qui propose sa Symphonie n°1 en première mondiale, est donc la bienvenue, d’autant plus que la disparition de Koechlin, décédé il y a 75 ans, risque de passer plutôt inaperçue face à d’autres commémorations en cours.
Koechlin orchestre en 1926 sa Symphonie n° 1, d’après son second quatuor à cordes, écrit dix ans plus tôt. Sa partition sera honorée en 1937 par le Prix Halphen de la Société des compositeurs de musique, ce qui ne signifie pas qu’elle deviendra populaire. Elle ne sera créée qu’en 1946, à Bruxelles, Franz André dirigeant l’Orchestre de l’INR. D’une durée totale qui approche les trois quarts d’heure, elle interpelle par son côté globalement crépusculaire, voire sombre. Un long Adagio initial de près de quinze minutes donne de l’espace à des accents mystérieux, presque fantomatiques, qui vont se développer, grâce à une orchestration sobre, dans un parcours qui fait la part belle aux cordes. Cette atmosphère, à la fois douloureuse et aux accents tragiques, est-elle en relation avec le souvenir de la Première Guerre mondiale ? La notice évoque une réflexion de Koechlin, qui signale que l’on peut voir dans ses œuvres de cette période une « illumination graduelle », ; le compositeur souligne le fait que, chez lui, la joie est dans sa nature. Ce qu’on ne perçoit pas toujours, même si le Scherzo qui suit énonce en effet une ébauche de lumière, avec encore l’un ou l’autre moment ténébreux. Un bref Trio où la langueur domine précède, dans une évidente économie de moyens, le final qui s’étire, un peu en redondance, mais termine avec un éclat retenu cette symphonie très personnelle quant à son inspiration, dont on découvre les beautés intrinsèques, qui justifient largement sa mise à disposition.
Le programme est complété par le poème symphonique Au loin (1900), d’abord écrit pour cor anglais et piano avant orchestration. Cette page d’un peu plus de huit minutes relève d’un impressionnisme rêveusement mélancolique, à la manière de Henri Duparc. Trois mélodies viennent s’ajouter à l’affiche, celles de l’opus 17, composées entre 1895 et 1900, et orchestrées par le musicologue anglais Robert Orledge (°1948), qui a consacré sa thèse de doctorat à Koechlin, avant une biographie en anglais en 1989, et a orchestré La Chute de la maison Usher de Debussy en 20004. Koechlin sait choisir ses poètes, ici parnassiens : Leconte de Lisle, à deux reprises (Le Colibri, qui inspirera aussi Ernest Chausson, et Épiphanie), et José Maria de Heredia (La prière du mort). La soprano Patricia Petibon interprète avec une finesse racée l’essence chatoyante des textes raffinés de Leconte de Lisle et la morbidité de celui de Heredia.
On salue la démarche prospective d’Ariane Mathiak, formée à la direction d’orchestre à Vienne auprès de Leopold Hager et de Seiji Ozawa. Elle s’investit, à la tête de sa phalange allemande, dans les méandres de la symphonie comme dans les autres pages de l’album, même si l’on a la sensation que toutes les ressources n’en sont pas exploitées et que d’autres approches de l’opus 57bis pourraient mieux le valoriser. L’accès à une connaissance complémentaire de Charles Koechlin, dont des partitions attendent encore un enregistrement, est en tout cas un apport précieux.
Son : 8, 5 Notice : 8,5 Répertoire : 8,5 Interprétation : 8
Jean Lacroix