Au moment de planifier sa dernière saison, nul doute que Michel Franck souhaitait avec cette reprise conférer à cette dernière une dimension légataire de ses 15 années à la tête du Théâtre des Champs Elysées.
Il faut dire que 11 ans après sa première, la mise en scène d'Olivier Py -reprise pour l'occasion par Daniel Izzo- n'a guère perdu de sa puissance. Le travail léché des visuels n'entrave en rien la narration ; et l'intemporalité de la scénographie et des costumes, tous deux signés par Pierre-André Weitz, fait écho au texte de Bernanos qui estompait déjà la dimension historique du roman de Gertrud von Lefort dont il était inspiré. Pour le reste, on ne saurait passer sous silence le somptueux travail aux lumières de Bertrand Killy, dont les nuances formelles épousent les scintillement de la partition de Poulenc autant que les gammes chromatiques, toujours sombres, font écho à la douloureuse genèse du chef d'oeuvre -entre 1953 et 1956 Poulenc aura ainsi perdu son compagnon emporté par une pleurésie, rencontré des problèmes de santé engendrant une grave crise d'hypocondrie et dû faire face au spectre d'une bataille juridique contre l'Américain Emmet Lavery qui avait acquis les droits de La dernière à l'échafaud-. Finalement, c'est peut être dans l'intensité dramatique de la mort de la Prieure que la direction d'acteur atteint de rares sommets.
Sur scène, l'ensemble de la distribution se distingue par son homogénéité et l'importance donnée à la clarté du texte. En Blanche de la Force, Vannina Santoni projette son timbre rond et chaud avec une facilité naturelle confinant à l'insolence dans les aigus, tout en distillant d'exquis piani. Dans le rôle de la prieure, Sophie Koch se distingue par sa présence scénique ainsi qu'une intensité dramatique particulièrement remarquée, y compris dans les passages les plus récitatifs de son rôle. La projection est légèrement en deçà dans les graves, mais l'amplitude donnée à la scène de sa mort fait aisément tout oublier. En Soeur Constance, c'est une Manon Lamaison solaire qui déploie un timbre cuivré et rond ainsi qu'un vibrato intense, des harmoniques aigus particulièrement présents et une grande musicalité jusqu'à ses dernières mesures.
À Paris, le Théâtre du Châtelet reprend la production de Cosi fan tutte de Mozart présentée en 2013 au Festival d’Aix en Provence. La mise en scène de Dmitri Tcherniakov transforme les jeunes gens qui s’apprêtent à se marier en couples de cinquantaines voire plus, vivant à notre époque, en quête de nouvel élan amoureux qui n’hésitent pas à pratiquer l’échangisme.
Pour Dmitri Tcherniakov, la bouffonnerie est la première difficulté à laquelle la mise en scène de Cosi fan tutte est confrontée. Dans son texte d’intention reproduit dans le programme, il ne cesse d’affirmer et de réaffirmer : « Elle [la bouffonnerie] est compliquée pour moi, […] cette bouffonnerie m’est assez opaque, elle est tout sauf naturelle pour moi ; […] ce n’est pas non plus une commedia giocosa. » Il l’élimine donc, d’autant qu’il estime qu’à cause des « normes sociales morales différentes » de l’époque de Mozart, « les lignes rouges à ne pas franchir ne sont plus les mêmes ». Il propose alors une lecture personnelle, transformant radicalement le livret de Da Ponte. Pour ce faire, il pose la question : « de quoi pourrait parler cette histoire [de Cosi fan tutte] aujourd’hui ? » Ainsi, deux couples arrivent dans une villa éloignée de tout pour un week-end, pour participer à un échange de partenaires entre les deux couples « à la recherche d’un peu de piquant ». Mais cela provoque la séparation dans chaque couple. Despina n’est pas servante de Fiordiligi et de Dorabella, mais l’hôtesse de la villa avec Don Alfonso. L’opera buffa n’est donc plus, on ne reconnaît plus les personnages, tout se passe dans ce loft à la mode (on pense à certaines séries de télé-réalité). Ne cherchez pas : les scènes attendues, comme celle de bosquet, n’arriveront jamais. Le chant militaire résonne vide, tellement la situation est absurde. Les travestissements sont réduits à des masques qui ne cachent même pas l’identité des personnages, alors, on se demande pourquoi ils les portent. Au début du deuxième acte, on a même l’impression d’assister à un semblant de séance de thérapie de groupe. À ce stade de réinterprétation, ne vaut-il mieux pas parler d’une histoire « d’après Da Ponte » ? De plus, la musique est entrecoupée à plusieurs reprises pour introduire à chaque fois un silence plus ou moins long, mais à quel dessein ? On paie le prix bien cher, car la fluidité, qui constitue l’essence même de la musique de Mozart, est interrompue.
Croisette. Opérettes des années folles. Ouvertures, airs et ensembles de : Henri Christiné (1867-1941), Reynaldo Hahn (1874-1947), André Messager (1853-1929), Raoul Moretti (1893-1954), Moïse Simons (1889-1945), Maurice Yvain (1891-1965). Amel Brahim-Djelloul, Patricia Petibon, Marion Tassou ; sopranos ; Pauline Sabatier, mezzo-soprano ; Rémy Mathieu et Philippe Talbot, ténors ; Guillaume Andrieux, baryton, Laurent Naouri, baryton-basse ; Orchestre National de Cannes, direction : Benjamin Levy. 2022. Livret en français et anglais. 67'48’’. Warner Classics : 5054197196195
Airs de Stefano Landi (1587-1639), Henry Purcell (1659-1695), Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Georg Friedrich Handel (1685-1759), Christoph Willibald Gluck (1714-1788), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Giuseppe Verdi (1813-1901) et Jacques Offenbach (1819-1880). Patricia Petibon, soprano ; La Cetra Barockorchester Basel, direction Andrea Marcon. 2021. Notice en français, en anglais et en allemand. 53.33. Sony 19439991832.
Le retour des Contes d’Hoffmann sur la scène de La Monnaie était un évènement ! En effet, l’opéra fantastique de Jacques Offenbach fit les beaux jours de la scène bruxelloise que ce soit dans la mise en scène de Maurice Béjart dans les années 1960 ou celle de Gilbert Deflo dans les années 1980. Quant à l’icône nationale José van Dam, il enregistra l’oeuvre avec Sylvain Cambreling et ses forces belges dans les années 1980 pour le label EMI, intégrale qui fait encore figure de belle référence. Mais l’évènement de cette nouvelle production est musical !
On connaît la genèse complexe de cet opéra qui fut créé à titre posthume. Face à la multitude des sources, différentes éditions existent, connues sous des appellations très codées : Choudens, Felsenstein, Oeser, Kaye 1, Kaye 2…. Cependant, au fil du temps de nouveaux manuscrits réapparaissent et peuvent être intégrés au texte musical. Dans ce contexte, Michael Kaye et Jean-Christophe Keck, les meilleurs connaisseurs du “Mozart des Champs-Elysées” ont élaboré l’édition la plus exhaustive (publiée chez les Allemands de Schott), mais qui permet aux interprètes d’opérer des choix. Alain Altinoglu dirige donc l’édition la plus complète à ce jour en privilégiant les récitatifs au texte parlé (flexibilité que permet cette édition). Prolongement de cette qualité éditoriale, le directeur musical de La Monnaie dirige Offenbach avec toute la justesse stylistique et les couleurs requises au pupitre d’un orchestre qui est toujours musicalement parfait. Certes les sonorités ne sont pas toujours les plus flatteuses mais le ton est exemplaire sous une baguette qui mène l’oeuvre idéalement tant narrativement que poétiquement.
Loin des fresques flamboyantes adoptées pour Les Huguenots (2011) ou Hamlet (2012) sur cette même scène de La Monnaie, Olivier Py approche le chef-d'oeuvre de Poulenc avec toute l'épure et la sobriété attendues. Et ce, dès le deuxième tableau du premier acte, lors de l'entrée dans les ordres de Blanche, saisissante. Coproduit par le Théâtre des Champs-Elysées, où ils furent créés en 2013, ces Dialogues des Carmélites impressionnent.
Francis POULENC (1899-1963)
Gloria, Litanies à la Vierge noire - Stabat Mater
Patricia PETIBON, soprano, Choeur de l'Orchestre de Paris, dir. Lionel SOW, Orchestre de Paris, dir. Paavo JÄRVI
2013-64'09- Présentation et textes en anglais, français, allemand-chanté en latin et français- DG 479 1497
Alban Berg (1885 - 1935)
Lulu, opéra en trois actes terminé par Friedrich Cerha
Patricia Petibon – Tanja Ariane Baumgartner – Pavol Breslik – Cora Burggraaf – Michael Volle - ,Thomas Piffka – Franz Grundheber – Thomas Johannes Mayer – Heinz Zednik – Andreas Conrad – Martin Tzonev – Emilie Pictet – Cornelia Wulkopf, Wiener Philharmoniker, Marc Albrecht, direction