Première moitié d’une intégrale des cantates et pièces d’orgue de Bruhns à Yale avec Masaaki Suzuki

par

Cantatas and Organ Works vol. 1. Nicolaus Bruhns (1665-1697) : De Profundis ; Jauchzet dem Herren alle Welt ; Mein Herz ist bereit ; Paratum cor meum ; Der Herr hat seinen Stuhl im Himmel bereitet ; Erstanden ist der heilige Christ. Praeludium en mi mineur (grand) ; Nun komm, der Heiden Heiland, fantaisie de choral. Dann Coakwell, James Taylor, ténor. Paul Max Tipton, baryton-basse. Masaaki Suzuki, orgue. Yale Institute of Sacred Music. Livret en allemand, anglais, français ; paroles en langue originale, traduction en anglais. Mai 2016 & mars 2017. TT 86’16.  BIS-2271

Bruhns mena carrière dans le Schleswig-Holstein : la ville de Lübeck où il prit des leçons auprès de Dietrich Buxtehude qui l’envoya s’aguerrir à Copenhague (1686-1689), et Husum où il mourut après y avoir servi huit ans à la tribune de la Stadtkirche. Il disparut prématurément, au même âge que Franz Schubert. Ou que Nicolas de Grigny (1672-1703) dont il fut un quasi contemporain et comme lui laissa peu d’œuvres quoique d’une extrême qualité. Outre de la musique de chambre qui put garder trace de son talent de violoniste mais aujourd’hui disparue, on lui doit douze cantates qui relèvent du geistliches Konzert, du madrigal sacré et du genre concertant polyphonique (magnifique exemple avec Erstanden ist der heilige Christ sur les trois premières strophes du choral pascal). Et une poignée de pièces d’orgue imprégnées du Stylus Phantasticus prisé par les compositeurs hanséatiques, assumant la théâtralité du discours au gré des contrastes structurels, rythmiques, dynamiques et texturaux.

Parmi les anthologies sur le marché, saluons le CD de la collection Tempéraments (juillet 1997), offrant trois cantates sous la direction de Martin Gester, et l’œuvre d’orgue par Jan Willem Jansen sur deux consoles toulousaines : Musée des Augustins et Saint-Pierre des Chartreux. On y entendait deux versions du Nun komm, der Heiden Heiland, celle de Johann Gottfried Walther et celle du manuscrit de Johann Friederich Agricola, conservé à Bruxelles et ornementé à la française. Ces deux moutures apparaissent aussi sur le récent CD de Karsten Lüdtke à Neumünster (Motette, 2018). Le complet catalogue vocal fut assez peu couvert au disque, si l’on excepte l’intégrale parue chez Ricercar (1989, avec Greta de Reyghere, Jill Feldman, Guy de Mey, Max van Egmond, James Bowman) comme quatrième tome de la série Deutsche Barock Kantaten. On dispose en revanche de nombreux enregistrements du corpus pour tuyaux, depuis les éminents témoignages de Michel Chapuis chez Valois en 1969, et Marie-Claire Alain (Erato, 1973 à Viborg) qui réenregistra les cinq pièces en 1990 à Masevaux. Olivier Vernet fut un des rares à les graver aussi deux fois : à Saint-Louis de Vichy (REM, 1992) et à Marienmuster (Ligia, 2015), chaque fois couplés avec Johann Nikolaus Hanff et Andreas Kneller. On distinguera encore les contributions exhaustives de Sven-Ingvart Mikkelsen (Kontrapunkt, 1992), Friedhelm Flamme à la Petrikirche de Melle (CPO, 2005), Byne Bryndorf à Roskilde (Da Capo, 2015), et Ingo Duwensee (MDG, juin 2014). L’emblématique Ludgerikirche de Norden accueillit plusieurs enviables alternatives : Bernard Foccroulle (Ricercar), Bernard Coudurier (BNL) Joseph Kelemen (Oehms). Pour autant, la discographie ne se limite pas à la facture historique frisonne, comme en attestent les albums sur des instruments italiens compatibles avec cette esthétique : Lorenzo Ghielmi à San Simpliciano de Milan (Winter), Manuel Tomadin à Pinerolo (Dynamic) et Adriano Falcioni à Ferrara (Brilliant).

Pour sa part, Masaaki Suzuki a choisi le Taylor & Boody de la Marquand Chapel à New Haven, construit en 2007 dans le style baroque nord-allemand : 35 jeux sur deux claviers et pédalier, accordé au mésotonique quart de comma. Le musicien japonais y déploie les deux plus ambitieux opus de Bruhns : le Praeludium en mi mineur (dit « le grand » en référence à un autre de même tonalité mais d’une moindre ampleur) qu’il sert avec une verve impulsive, vivifiant les essors chorégraphiques au détriment de l’aplomb. Tandis que le Nun komm se déroule avec netteté et régularité, l’interprète laissant sobrement converger sa narration vers la dernière section de ce cahier pour l’Avent. Les cantates sont confiées à trois solistes habitués de ce répertoire germanique. Dann Coakwell prête son concours aux cantates à plusieurs voix. Éblouissant dans les virtuoses vocalises du Jauchzet dem Herren alle Welt, James Taylor enseigne le chant à la Yale University, dont l’Institute of Sacred Music assure ici le soutien instrumental. « Un centre d’études supérieures interdisciplinaires consacré à l’étude et à la pratique de la musique religieuse, du culte et des arts » précise le livret. On mesure l’éloquence de ses pupitres de cordes dans l’introduction du Paratum cor meum où s’active Paul Max Tipton, qui nous avait déjà conquis dans le sombre De Profundis. Un projet bienvenu et inspiré, superbement capté, qui n’oublie pas les influences italiennes de l’écriture. On attend impatiemment le volume complémentaire.

Son : 10 – Livret : 9 – Répertoire : 9-10 – Interprétation : 9,5

Christophe Steyne

 

 



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