Dernier jalon de l’intégrale des Symphonies de Widor chez Naxos

par

570034bk Hasse

Charles-Marie Widor (1844-1937) : Cinquième Symphonie, en fa mineur, Op. 42 no 1 ; Sixième Symphonie, en sol mineur, Op. 42 no 2 ; Prélude de la version originale de la Huitième Symphonie, en si majeur, Op. 42 no 4. Christian von Blohn, orgue de l’église St. Joseph de Sankt Ingbert. Mars 2020. Livret en anglais et allemand. TT 76’20. Naxos 8.574279

Rappelons d’abord que Naxos achève ici une intégrale initiée par Wolfgang Rübsam à Chicago (symphonies 1 à 4 en mars et juin 2019) et poursuivie en l’église néogothique de Sankt Ingbert par Christian von Blohn. Duquel nos colonnes accueillirent favorablement l’enregistrement des quatre ultimes symphonies. Depuis nos articles parus en novembre et avril derniers, la réécoute a confirmé les vertus de l’interprétation que nous n’avions pas surcotée, au point que nous étions disposés à donner un coup de pouce pour ce dernier maillon. Hélas pour les deux symphonies médianes, nous ne sommes pas complètement enthousiastes.

Les réserves relèvent plutôt de l’instrument, surtout la façon dont il apparaît, et ces défauts s’exposent d’emblée dans l’Allegro vivace de la Cinquième que Christian von Blohn avait déjà gravée voilà vingt ans, chez le label Arte Nova, sur un autre orgue de la paroisse sarroise de Sankt Ingbert, celui de l’église Sankt Hildegard. Ici, les mélanges en creux (16’ & 4’) semblent enroués, même si les anches au même Récit (2’33) ressortent mieux. L’interprète privilégie la célérité sur la lisibilité, ce qui brouille la variation nébulisée par les double-croches du Positif (3’51). En revanche, la section Più lento (5’02) révèle un atout majeur de cette tribune : la plénitude de ses fonds, qu’on appréciera aussi dans le troisième mouvement Andantino. La reprise est efficacement mise en scène, et en perspective, toutefois la puissance du fff semble congestionnée. Similairement dans l’Allegro, les Flûtes de Saint Joseph ravissent, mais le Hautbois s’en tient à une cantilène un peu distante, poreuse et confidentielle. Idem pour les Gambe et Voix céleste de l’Adagio qu’on peut trouver trop décantées, surtout dans le pp, malgré un attendrissant chant de flûte au pédalier. La célèbre Toccata profite d’un souple rebond que la spatialisation des claviers du lieu permet d’aérer ; l’accalmie en ré majeur (2’02) ne s’étiole pas et conduit au maestoso (3’08) que les tuyaux de Sankt Ingbert servent avec la force requise et une non moindre sincérité d’émotion, aussi inaccoutumée que bienvenue.

Dans l’Allegro de la Sixième, Christian von Blohn décortique les accents et renforce ainsi l’impression d’assister à un douloureux cortège. Mais les échappées traduisent une console qu’on dirait peu maniable, ce qui atténue l’élan dramatique, loin de la fulgurante démonstration d’Olivier Vernet à Orléans (Ligia). L’image, quoique large, ne sature pas le cadre et manque de poids. On ne sera pas non plus comblé par l’Intermezzo dont les arrière-plans sonnent confus, et les anches timides et guindées. Oui, comme le rappelle l’organiste allemand au début de sa notice, ces œuvres peuvent s’exprimer en-dehors de la facture Cavaillé-Coll. Daniel Maurer sur le Roethinger (qui certes ne méconnaissait pas les secrets du génial Aristide) de Saint-Martin d’Erstein (Ligia), ou Bernard Coudurier sur le grand Callinet de La Madeleine à Besançon (BNL) offrirent des lectures plus claires ou plus ensorcelantes de cet effervescent moto perpetuo. Plus convaincants, le Cantabile distille son charme de romance « belle époque », puis le Finale s’ébroue avec panache et intelligence.

Le précédent volume consacré aux Symphonies 8 et 10 avait éludé une partie de la Huitième : le Prélude, retiré de l’édition révisée de 1901. Le voici en complément de ce programme bien rempli ! Comme nous l’avons signalé, nos remarques ne veulent pas ternir l’inspiration ni la virtuosité patentes de Christian von Blohn dont on admire la maîtrise, le sain propos et souvent la prise de risque. Des qualités qui se heurtent à une captation un brin diffuse, opaque, et à une mécanique un peu lourde, incitant peut-être à une emphase indésirée ou du moins en décalage envers une esthétique interprétative qui se voudrait plus ailée. En tout cas, la somme des mérites excède d’évidence les menus regrets. On daignerait alors espérer que Christian von Blohn enregistre les quatre premières symphonies sur cet orgue qui, nonobstant ses revers, extrapolerait une vision cohérente sur l’ensemble du corpus.

Son : 7,5 – Livret : 8 – Répertoire : 9 – Interprétation : 8,5

Christophe Steyne

 

 

 

 

 

 

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