Flûte et orgue, parfum de musique au détour du XXe siècle
D’un matin de printemps. Cécile Chaminade (1857-1944) : Concertino pour flûte et orchestre op. 107 ; Claude Debussy (1862-1918) : Syrinx pour flûte ; Prélude à l’après-midi d’un faune. Lili Boulanger (1893-1918) : D’un matin de printemps. Arthur Honegger (1892-1955) : Danse de la chèvre pour flûte. Gabriel Fauré (1845-1924) : Fantaisie op. 79 ; Masques et bergamasques op. 112 ; Berceuse op. 16. Ermend Bonnal (1880-1944) : Reflets solaires pour orgue op. 17. Joseph Jongen (1873-1953) : Danse lente op. 56b. Thierry Cazals, flûte ; Vincent Grappy, orgue. 2022. Notice en français et en anglais. 68’ 11’’. Hortus 231.
Les affiches qui combinent la flûte et l’orgue ne sont pas légion, alors que, selon l’organiste Vincent Grappy, leur alliance est pourtant naturelle -ils sont instruments à vent : l’un n’est que la mécanisation et l’amplification de l’autre. Elle est rare car il y a peu d’œuvres originales ; il faut donc que l’orgue se fasse orchestre et emprunte à d’autres le matériau de cette alliance. Elle est dangereuse par sa disproportion ; l’orgue doit prendre garde de laisser à la flûte la première place. C’est le cas dans cet album Hortus, qui vient confirmer un autre propos de Vincent Grappy, à savoir que cette alliance est surtout lumineuse et joyeuse, car elle sert, par la transcription, un répertoire d’une infinie poésie, un parfum de musique. Complices depuis plusieurs années nourries de partage musical et de concerts communs, Vincent Grappy, originaire de Blois où il est titulaire de l’orgue de la cathédrale, et le flûtiste Thierry Cazals, né dans le Var, proposent ici un programme chaleureux et raffiné, qui met en évidence les propos énoncés et les qualités des deux solistes.
C’est à une page de Lili Boulanger, D’un matin de printemps, que le présent album doit son titre général. Fauchée par la tuberculose à 25 ans, la jeune femme avait écrit fin 1917 un duo pour violon et piano, dont elle proposa aussi une version pour flûte, avant d’y joindre l’orchestre en janvier 1918, deux mois avant sa disparition. Cette fraîche vision bucolique est envahie d’une transparence qui rend justice à un hymne presque pictural que la notice voit, avec raison, comme un chant du cygne. Vincent Grappy en a signé la transcription à l’orgue, apportant au renouvellement de la nature dû à la nouvelle saison une illumination bienvenue. Mais avant cette page influencée par Debussy, il a aussi transcrit le délicieux concertino de Cécile Chaminade (1902), qui ouvre le récital par sa subtile musicalité, la flûte et l’orgue installant d’emblée un climat gracieusement lyrique. Celui-ci se prolonge dans le génial Syrinx, dont Thierry Cazals traduit l’arabesque évanescente, offrant ainsi un écrin de volupté à la transcription du Prélude à l’après-midi d’un faune, dont le panthéisme se déroule comme dans un rêve. Si la Danse de la chèvre de Honegger, pour flûte seule (1921), prévue pour un ballet, est placée juste après Lili Boulanger, c’est qu’elle a aussi un lien avec la mort : séduit par la musique de son berger, l’animal se démène jusqu’à l’épuisement total. Le côté pastoral se développe dans l’ivresse.
Gabriel Fauré occupe une place de choix dans le programme. Vincent Grappy se charge de transcrire pour orgue seul la Berceuse op. 16, initialement prévue pour violon et piano (1879), dont il dessine avec art la mélodie colorée, mais aussi la Fantaisie op. 79 (1898), au sein de laquelle l’orgue remplace le piano pour accompagner avec expressivité la flûte prévue par le créateur. Par contre, c’est l’Allemand Otto Depenheuer, né à Bonn en 1953, qui a transcrit pour orgue les quatre parties de la suite orchestrale Masques et bergamasques de 1919. Après la légèreté de l’Ouverture, on savoure un charmant Menuet avant une Gavotte malicieuse et une Pastorale aux sonorités nostalgiques. Une page pour orgue du Bordelais Joseph-Ermend Bonnal, Reflets solaires (1905), est présente dans la foulée de la Berceuse. Élève d’Alexandre Guilmant, Bonnal travailla la composition et l’orchestration avec Charles Tournemire dont il prit la succession, au décès de ce dernier, sur le grand Cavaillé-Coll de la basilique parisienne de Sainte-Clotilde. Les jeux et les rythmes du soleil à travers les vitraux d’une rosace, évoqués par le compositeur, sont un moment d’éblouissement. Joseph Jongen clôture le récital, avec son intime Danse lente (1917), extraite des Tableaux pittoresques pour petit orchestre, dans une autre transcription de Vincent Grappy, La flûte y évolue dans un climat limpide.
Cette belle rencontre flûte et orgue est un vrai moment de fraîcheur et d’expression poétique. Vincent Grappy joue sur le Cavaillé-Coll de l’église Saint-François-de-Sales à Lyon, qui date de 1880 et est conservé dans son état d’origine. Lors de l’inauguration, Charles Widor y créa sa Symphonie n° 5. Quant à Thierry Cazals, il fait la démonstration d’une virtuosité délicate et harmonieuse. Pour Debussy et Jongen, il utilise la riche sonorité d’une flûte traversière Brannen-Cooper, avec embouchure en buis du facteur Jean-Jacques Melzer.
Son : 8,5 Notice : 9 Répertoire : 10 Interprétation : 9
Jean Lacroix