Quand Ravel réunit Mozart, Saint-Saëns et le Jazz
Maurice Ravel (1875-1937) : Concerto pour piano et orchestre (partition d’orchestre et réduction à deux pianos). 2019 – Ravel Edition / XXI Music Publishing – 235 pages – ISMN 9790803766012 – 69 euros
C’est non sans une certaine excitation que le volume II de Ravel Edition était attendu. Entre les mains, cet ouvrage plus que complet permet à tout un chacun de voyager au sein d’un chef-d’œuvre incontestable dont le dessein ne fut pas toujours de tout repos pour le compositeur. Ravel Edition, c’est plus qu’une simple réédition dotée d’un maigre appareil critique. C’est davantage entourer une œuvre d’un nombre conséquent d’informations et détails avec pour optique d’ouvrir les portes de l’imagination créatrice des interprètes. Après un premier volume remarquable consacré au Boléro, le second volume, dédié cette fois au Concerto pour piano et orchestre, semble encore plus abouti. François Dru reprend la direction de cette révision avec un comité de lecture de haut vol : le pianiste Cédric Tiberghien, le compositeur Benjamin Attahir et les chefs d’orchestre Ludovic Morlot, Adrien Perruchon, Pascal Rophé et Louis Langrée. Une fois de plus, le travail fait mouche.
D’une part s’apprécie la qualité des textes qui précédent le texte musical. On apprend ainsi dans l’excellent texte de François Porcile, Le dernier défi du fakir Ravel, que Ravel nourrissait une attirance pour le jazz qui, selon lui, deviendrait la musique nationale des États-Unis. Il ira même jusqu’à appeler son chien, Jazz. Plus loin, on découvre que l’écriture du Concerto pour la main gauche, commande du pianiste victime de guerre Paul Wittgenstein, date de la même époque. Entre la difficulté éprouvée lors de l’écriture du Concerto pour piano et orchestre et la rapidité étonnante de la finalisation de celui pour la main gauche, on apprend aussi que la première audition privée à deux pianos a lieu chez la Princesse de Polignac en compagnie de Francis Poulenc et Jacques Février. C’est finalement à l’international, tel un marathon en compagnie de Marguerite Long (dédicataire), que l’œuvre finit par briller. Aussi, la correspondance de Ravel, les propos du pianiste Vlado Perlemutter sur le squelette de la partition et son interprétation permettent de cerner au plus près les idées du compositeur. Car si des enregistrements d’époque existent, la technique d’antan ne rend pas justice au matériau. Ce Concerto écrit sur le modèle des concerti de Mozart et Saint-Saëns, bénéficie ici d’une nouvelle réduction de l’orchestre pour un second piano par Jean-Pascal Beintus, basée sur les annotations d’exécution de Ravel et Long. Force est de constater que l’auteur a pris en considération les besoins du pianiste accompagnateur, à savoir une synthétisation la plus large possible du matériau orchestral sans que cela devienne ridiculement injouable. Quant à la révision, elle est basée sur le manuscrit orchestral, les partitions de Marguerite Long ainsi que les différents textes (esquisses et épreuves) de la réduction pour deux pianos.
Le lecteur pourra aussi découvrir des critiques du siècle dernier, de superbes photographies, mais aussi un échange courtois mais piquant entre le critique Prunières, Ravel et Marguerite Long sur l’interprétation de cette dernière. Enfin, un appareil critique très détaillé ferme cet ouvrage exceptionnel. A nouveau, il semble opportun de confirmer l’excellence de cette édition : textes fouillés, documents historiques, une riche iconographie, soin de la mise en page et la qualité du papier (ouvrage cousu, papier 120 grammes)… La matériel d’orchestre est disponible à la vente auprès de XXI Music Publishing. Un régal pour les yeux et pour l’esprit.
2019 – Ravel Edition – 235 pages – ISMN 9790803766012 – 69 euros
Ayrton Desimpelaereayrton
Pierre-Jean Tribot, rédacteur en chef de Crescendo Magazine, est fondateur administrateur de XXI Music Publishing ASBL