Récital de Ian Bostridge au Festival Beethoven à Varsovie
La 29e édition du Festival Beethoven se tient actuellement à Varsovie. Du 6 avril au 18 avril, 15 concerts sont programmés. Fondé et dirigé par Elżbieta Penderecka, le festival propose une riche palette de concerts, allant de la musique symphonique à la musique de chambre, principalement à la Philharmonie de Varsovie. Cette année, le public a l’occasion d’écouter le Beethoven Orchester Bonn ainsi que les plus grandes formations polonaises. Le thème retenu pour cette édition est : « Beethoven – Grande Poésie ».
Ce mercredi 16 avril a lieu le récital du ténor britannique Ian Bostridge. Il se produit avec la pianiste italienne Saskia Giorgini. Au programme de ce concert, des lieders de trois compositeurs germaniques : Hugo Wolf, Ludwig van Beethoven et Franz Schubert.
Le concert débute avec un lied tiré des Goethe Lieder d’Hugo Wolf : Grenzen der Menschheit (Limites de l’humanité). Ce lied est profondément philosophique et démontre toutes les qualités de Wolf, à la fois sur le plan expressif, technique et spirituel. Ce poème de Goethe est une méditation sur la condition humaine face à la grandeur divine et cosmique. En somme, c’est une mise en garde contre l’orgueil humain, un rappel de notre place dans l’ordre de l’univers. Wolf met en musique ce texte dense avec une puissance dramatique assez impressionnante. Ian Bostridge déploie une belle palette de couleurs pour interpréter ce lied. La voix est tantôt ample, tantôt intériorisée comme un murmure. Sa ligne vocale traverse un large spectre d’expressions, reflet direct de la tension entre la majesté divine et la petitesse humaine. Dans ce lied, le piano n’est pas un simple soutien. En effet, il déploie des paysages sonores grandioses, parfois apocalyptiques, parfois d’un calme mystique. Cette partie de piano, très exigeante techniquement, est interprétée brillamment par Saskia Giorgini.
Le récital se poursuit avec les sept premiers lieder tiré du cycle Schwanengesang de Schubert. Les sept premiers lieder, composés sur des poèmes de Ludwig Rellstab, forment un ensemble traversé par des thèmes récurrents : l’amour absent ou perdu, le désir de l’aimée, l’errance et la solitude. La nature y joue un rôle essentiel, tantôt reflet des émotions (le ruisseau messager dans Liebesbotschaft, la tempête intérieure de Aufenthalt), tantôt espace d’exil (In der Ferne). Les deux artistes du soir traduisent, de par leur interprétation, cette oscillation entre élan passionné et résignation douloureuse, alternant lieder lumineux et confiants avec d’autres, plus sombres et introspectifs. Malgré leur diversité de ton, tous partagent une profonde sensibilité romantique, où la voix et le piano tissent un dialogue expressif.
Après l’entracte, place à Beethoven et son cycle de 6 lieder An die Ferne Geliebte (À la bien-aimée lointaine). Ce cycle est un véritable bijou dans l’histoire du lied, surtout quand on sait que c’est le tout premier composé par Beethoven en 1816. C’est une œuvre fondatrice, à la croisée entre le classicisme et le romantisme naissant. Beethoven relie les 6 lieder sans interruption (enchaînements attacca), ce qui en fait le premier véritable cycle cohérent de l’histoire du lied. Le dernier lied revient par ailleurs au thème du premier, créant un effet de boucle cyclique. Dans cette œuvre intimiste, Ian Bostridge use d’une voix souple et expressive avec une clarté primordiale dans la diction puisque le texte joue un rôle assez important. De son côté, Saskia Giorgini accompagne, commente, et parfois anticipe les émotions du chant, bien que l’écriture pianistique reste relativement sobre comparé aux lieder plus tardifs (comme chez Schubert ou Wolf).
Le concert se clôture avec les sept derniers lieder tiré du cycle Schwanengesang de Schubert, entamé lors de la première partie. Les sept derniers lieder du Schwanengesang marquent un net virage vers une expression plus sombre, intérieure et tourmentée. Ils sont composés sur des poèmes de Heinrich Heine hormis le dernier étant écrit par Johann Gabriel Seidl. Ces lieder abandonnent l’élan romantique que l’on peut retrouver dans les sept lieder précédents afin de plonger dans un univers désabusé et halluciné. Les thèmes récurrents sont ceux de l’amour perdu, de la solitude et de la mémoire douloureuse. Le cycle culmine dans Der Doppelgänger avant de s’achever sur Die Taubenpost, lied plus léger en apparence, mais teinté d’une nostalgie douce-amère. L’ensemble constitue une méditation poignante sur l’absence, la perte et la trace laissée par l’amour. L’interprétation de Ian Bostridge et Saskia Giorgini propose un équilibre subtil entre maîtrise technique, intelligence poétique et émotion sincère. Ils forment un duo sensible et expressif, capable d’explorer toute la richesse émotionnelle du cycle.
Le public applaudit plus que chaleureusement la prestation proposée ce soir par ces deux artistes. Ian Bostridge démontre une nouvelle fois qu’il excelle dans l’interprétation des lieder. Mais tout cela ce ne serait pas possible sans le talent de la pianiste Saskia Giorgini. En effet, son jeu musical, tantôt délicat, tantôt puissant, permet à Ian Bostridge de chanter dans les meilleures conditions.
Varsovie, la Philharmonie, le 16 avril 2025
Thimothée Grandjean, Reporter de l’Imep
Crédits photographiques : Bruno Fidrych