Récital de Manuela Gouveia au Festival de piano Do Oeste  

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 La petite ville médiévale de Óbidos, au Portugal, qui conserve intacts toute son enceinte et une partie considérable de son château, accueille, en plus de ses joyeux touristes, plusieurs activités culturelles dont la plus saillante est la Semaine Internationale de Piano (SIPO), active depuis 1996. De très nombreux pianistes y ont participé selon une formule de « master class », chère à Alfred Brendel, où les étudiants exposent leurs interprétations successivement à différents artistes consacrés, un luxe inouï que prétend éviter le dogmatisme qu’un cours magistral pourrait entraîner et permet aux jeunes interprètes de réfléchir aux divers critères pouvant servir honnêtement une même composition musicale. Parmi les noms illustres qui ont foulé ces cours, on peut citer ceux de Paul Badura-Skoda, (un habitué jusqu’à ses derniers jours…) Dmitri Bashirov, Helena Costa, Jörg Demus, Vitaly Margulis, Luíz de Moura Castro, Mikhaïl Pethukov, Pierre Réach, Boris Bloch, Boris Berman, Josep Colom, Artur Pizarro, Eugen Indjic. Autant dire la crème des pianistes des  XXe et XXIe siècles. Les cours sont ponctués par les performances des professeurs et hier nous avons pu assister à celle de sa directrice artistique et âme tutélaire de cette indispensable initiative, Manuela Gouveia. 

Qui partage avec son illustre aînée portugaise Maria João Pires une apparence frêle, discrète et teintée d’humilité. Démentie de suite par l’intensité affective de sa performance. Mais là où la Pires nous charme avec son phrasé magique et ses fulgurances émotionnelles, Gouveia plante de prime abord un décor où les lignes de force structurelles sont tracées de façon claire et limpide pour nous harceler ensuite des questions les plus hétéroclites : pourquoi cette modulation surprenante, pourquoi ce contrepoint hardi, pourquoi cet accent lacérant ? Le tout dans une richesse de couleurs et dans une sonorité envoûtante qui transforme le piano en une myriade d’instruments variés, de voix diverses et bigarrées. Car son choix de programme s’était porté également sur des œuvres suggérant l’énigme, la spéculation compositionnelle. Dès les Variations en Fa de Haydn, écrites lorsque l’auteur avait découvert la manufacture de pianos anglaise, les Longmann & Broderip et surtout les Broadwood, avec leurs riches résonances préfigurant l’essor du piano romantique en contraste avec la légèreté mécanique des pianos viennois et leur sonorité aérienne, le son se déploie par vagues d’une richesse peu commune, le tout avec une déclamation d’une clarté et d’une transparence exquises. Suivies par les Six  Klavierstücke  op. 19 d’Arnold Schönberg, écrits en 1913 en cherchant à éviter tout « pathos », la pianiste nous transporte vers six états d’âme condensés : du cri déchirant à un bref moment de bonheur en passant par des effusions lyriques contenues mais pas moins intenses…

Ce dialogue permanent avec la pensée des compositeurs, ce questionnement des convictions -ou des conventions- interprétatives nous a permis hier de réentendre des œuvres qu’on a rassasié jusqu’à la nausée sous un jour nouveau et il nous a semblé assister plutôt à des improvisations de génie. Nombreux sont les échos des qualités et de la créativité des improvisations de Beethoven. Hier, Gouveia semblait aussi improviser, tellement elle a atteint la liberté comme interprète. En l’écoutant dans les variations de la Sonate opus 109, je ne pouvais pas m’empêcher de revenir au souvenir de cette description géniale que faisait Thomas Mann, dans son « Doktor Faustus », des variations de l’opus 111 beethovenien qui mènent l’auditeur vers un état second où rêve et réalité se confondent et où l’imaginaire ne trouve plus de limites à son essor. Sans doute, le critique jalouse en secret l’aptitude du grand écrivain à mettre des paroles sur des émotions qu’il a ressenti à travers l’écoute de la musique… 

La Suite op. 14 de Béla Bartók a clôturé une soirée difficile à oublier. Écrite en 1916, en pleine guerre mondiale, elle cherche aussi à éviter les excès du post-romantisme par une débordante imagination rythmique et mélodique. Bartók affirmait qu’elle ne contient pas d’éléments folkloriques malgré les importantes recherches qu’il effectuait en parallèle. Parmi ses œuvres, c’est celle qu’il jouait le plus volontiers en concert. Gouveia nous a confirmé encore la richesse inépuisable de sa palette expressive. Une soirée qu’on pourrait résumer comme l’aveu le plus sincère d’une musicienne sans pareil.

  Óbidos, Chateau, 8 juillet 2024

Xavier Rivera

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