Beethoven Labyrinthus : Nouveau spectacle du Centre de Musique de chambre de Paris

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Un nouveau concept de la musique classique qui réinvente les formes de concerts

Le Centre de Musique de Chambre de Paris, créé à l’initiative du violoncelliste Jérôme Pernoo et inauguré en novembre 2015, vise à promouvoir la musique de chambre et les jeunes interprètes professionnels. Les musiciens, qui sont à l’aube de leur carrière professionnelle et, pour la plupart, encore étudiants, se voient offrir des occasions de se produire dans des conditions extrêmement formatrices : jouer sans partition les œuvres-clés du répertoire dans un spectacle-concert avec mise en espace, ce qui nécessite des coordinations bien rodées. Le même spectacle, sous forme de récits en musique, est présenté à la Salle Cortot à Paris (quartier général du Centre) chaque jeudi, vendredi et samedi à 21 heures pendant trois semaines consécutives soit neuf fois. Ces représentations -car ce sont de véritables représentations- sont précédées de préparations intensives non seulement de l’interprétation mais aussi d’approfondissement du contexte historique et artistique, pour que chaque musicien puisse entrer en immersion totale dans l’univers de l’œuvre et du compositeur. En première partie de ces spectacles, on peut entendre à 19 heures 30 un concert court (45 mn environ) concentré soit sur une seule œuvre, soit sur un seul compositeur. Entre les deux concerts, « freshly composed », un séance de dix minutes pour une ou plusieurs pièces de musique de chambre écrites par un(e) (très) jeune compositeur et présentées par son auteur(e). Nous avons ainsi entendu quelques œuvres dont l’opus 1 de Thomas Prechal, 14 ans (!)

Le Centre de Musique de Chambre de Paris ne manque pas d’idée ; au cours de chaque saison, on peut assister à plusieurs dimanches intitulés Bach and breakfast où les spectateurs se transforment en choristes pour des cantates après une répétition avec petit déjeuner (offert) ; Dark concert, un concert sensoriel dans le noir ; bœuf de chambre, un concert de gala pour la clôture de la saison.

« Beethoven Labyrinthus » et des Lieder de Strauss pour janvier 2019

Pour l’ouverture de la saison 2018-2019, le spectacle Mozart vs Stadler (novembre-décembre 2018) a mis l'accent sur La Gran Partita K. 361 pour deux hautbois, deux clarinettes, deux cors de basset, deux bassons, quatre cors et contrebasse. Les deux musiciens-comédiens jouaient une partie d’échec (à chaque avancée de pion, Mozart écrit un mouvement que l’on entend) et échangent des dialogues imaginaires élaborés exclusivement à partir des correspondances de Mozart.

Pour le deuxième spectacle de la saison, Beethoven Labyrinthus qui se joue actuellement jusqu’au 26 janvier, on entre dans la tête du compositeur qui perd progressivement l’ouïe. Du Trio op. 1 No. 3 (Allegro con brio) jusqu’à la Grande Fugue, en passant par la Sonate à Kreutzer  (finale), la Sonate Appassionata (Allegro Assai) et la Sonate op. 102 n° 2 (Adagio con molto sentimento d'affetto), on peut brasser sa vie créatrice en une heure avec, de temps à autre, des illustrations sonores des acouphènes dont il aurait souffert, résultat de recherches scientifiques et médicales à l’appui. Le monologue du Maître de Bonn, écrit par Jérôme Pernoo et Jean Rubak (avec la voix enregistrée de Claude Guyonnet), qui traduirait son état d’esprit à chaque étape de sa surdité, est ponctué par ce programme musical. Le tout est accompagné de vidéo mapping (de Carolyn Laplanche, avec Martial Gallorini) projetée sur le mur de la scène. Réalisé par Amélie Compain, le film mêle des partitions et des images d’archives avec des dessins de sa création pleins de poésie.

Interprétation inspirée, à haut degré de perfection

Les cinq jeunes interprètes de Beethoven Labyrinthus se distinguent tous par leur musicalité exceptionnelle. Ils constituent un ensemble digne d’une formation permanente tant l’entente est heureuse, que ce soit en quatuor, en trio, en duo ou en solo. Pour la violoniste Raphaëlle Moreau, on se souvient de son passage au Concours international Long-Thibaud-Crespin en novembre dernier à Paris où elle a fait preuve d’une grande solidité. Libérée de ces contextes stressants, et certainement parce qu’elle joue avec ses amis, elle s’épanouit dans son jeu et se montre rassurante, comme on peut le voir à ses coups d’archet. Ryo Kojima, également violoniste, est lauréat du Prix de l’Académie Ravel 2015. Le talent qu’il a pu développer grâce d’abord à son père (co-soliste de l’Orchestre Symphonique de NHK et violon solo de l’Orchestre Symphonique d’Hiroshima) puis à l’Académie Seiji Ozawa, se traduit par une écoute attentive des autres partenaires, à partir de laquelle il adapte ses expressions avec grande souplesse en mettant en avant de belles sonorités élastiques. L’altiste américaine Arianna Smith, actuellement en résidence à la Chapelle Musicale Reine Élisabeth après ses études au Conservatoire de Paris, propose un jeu dynamique qui met en valeur son caractère musical affirmé. Aussi assume-t-elle pleinement le rôle-clé de son instrument sans lequel une bonne interprétation de quatuors n’existera jamais. Au violoncelle, Jean-Baptiste Maizières, déjà habitué de nombreux festivals, trouve le moyen de s’exprimer en toute liberté. Sa sensibilité à la fois délicate et fougueuse lui permet d’explorer une multitude de facettes musicales à travers des phrasés justes, toujours empreints de lyrisme. Le clavier n’a aucun secret à Kojiro Okada, natif de Bordeaux et actuellement en première année de Master au Conservatoire de Paris. Sa facilité technique rassurante et surtout sa musicalité naturelle constituent une précieuse arme en tant que soliste. Dans les sonates à Kreutzer avec violon et opus 102 n° 2 avec violoncelle, sa spontanéité se montre particulièrement efficace. Son jeu, jamais tape-à-l’œil ni côté son, ni côté gestes, est admirablement maîtrisé et fait ressentir un immense potentiel encore caché.

Lieder de Strauss

Le concert de 19 heures 30 qui précède le spectacle est confié à la soprano Anara Khassenova et au pianiste Vincent Mussat, en partenariat avec l’Académie Musicale Philippe Jaroussky (de la Seine Musicale). Ils interprètent des lieder de Richard Strauss : Zueignung op. 10, Mädchenblumen op. 22, Säusle, liebe Myrthe op. 68 et Vier Lieder op. 27. La soprano a un timbre riche proche de mezzo, rendant possible un large champ d’expression. Sa couleur vocale s’adapte bien aux caractères expressifs de pièces de Strauss auquel elle attache une attention particulière. Mais sa voix peine à s’élancer vraiment dans les aigus et, au point culminant de certains lieder, alors qu’on attend une envolée passionnée, celui-ci n’arrive pas ou ne s’entend que difficilement… La diction de son allemand nous semblait aussi  manquer de netteté. Etait-elle souffrante ce soir-là ? Heureusement, l’excellent Vincent Mussat soutient idéalement le chant par une sonorité colorée mais discrète, en « accompagnant » la voix dans le meilleur sens du terme. Ainsi, il nous donne l’envie de l’entendre dans des programmes divers en solo et en différentes formations de chambre…

Victoria Okada

Crédits photographiques :  © CMCP

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