Le Lundi musical avec Marianne Crebassa : un récital empli d’émotion

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Pour son dernier Lundi musical de la saison, le Théâtre de l’Athénée Louis-Jouvet (Paris) accueillait la mezzo-soprano Marianne Crebassa et le pianiste Alphonse Cemin. Leur programme, empli d’élégance et de profondeur, a enchanté le public.

Compagnons musicaux de longue date, Marianne Crebassa et Alphonse Cemin se produisaient pour la première fois ensemble sur la scène du théâtre de l’Athénée, à Paris. Dans cet écrin à la fois intime et chaleureux, ils ont déroulé, avec talent et inspiration, un programme varié dans les esthétiques mais composé d’œuvres toutes écrites à la charnière du 19e et du 20e siècle. L’occasion pour le public d’entendre et d’apprécier l’ampleur du registre vocal, dramatique et sensible d’une Marianne Crebassa décidément très en forme. 

On peut presque parler de démonstration, tant ce récital fut réussi, généreux dans l’engagement des artistes et qualitatif dans le rendu des œuvres interprétées. Démarré par les délicates et précises Chansons de Bilitis, de Claude Debussy, il s’est poursuivi par les -ô combien- dramatiques Kindertotenlieder (Chants des enfants morts) de Gustav Mahler, auxquels ont succédé les cinq mélodies, étranges et oniriques, de Combat del somni (Le combat du rêve) du Catalan Federico Mompou puis les Cinq mélodies populaires grecques de Maurice Ravel, imprégnées de folklore.

Entre la finesse impressionniste française à laquelle répondait la densité post-romantique austro-allemande ou encore la difficulté de la diction du Catalan, le registre d’expressions était large à couvrir, tant vocalement que scéniquement. Heureusement, Crebassa est dotée de métier et de moyens et elle a pu compter sur un Alphonse Cemin particulièrement inspiré, ayant chaque partition « bien dans les doigts » et dosant parfaitement l’énergie à distiller pour soutenir et véritablement accompagner la soliste.

Sur cette belle trame, la voix chaude et profonde mais également fine et délicate de Crebassa s’est posée avec majesté, assortie d’un jeu d’expression particulièrement éloquent. Pour Les chansons de Bilitis, de Debussy, elle a marché prudemment mais de manière assurée, sur la glace de cette musique sensuelle et trouble, sans jamais menacer de la rompre voire de la fissurer. Elle a ensuite attaqué avec bravoure la partie conséquente de ce récital, constituée des cinq Kindertotenlieder de Mahler. Si sa prononciation de l’Allemand s’est montrée moins fluide que celle du Français, elle n’a cependant pas empêché l’immense expressivité de cette musique de s’exprimer à plein. Et pourtant, quelle gageure, quand on sait qu’il s’agit de restituer la profondeur dramatique de cinq cris de douleur, pudiques et déchirants, jaillis de la plume du poète Friedrich Rückert après la mort de ses enfants ! Dans une posture sobre, les deux bras arrimés à son pupitre, elle s’est attachée à souligner, avec une somptueuse profondeur de timbre et un tenuto infaillible, le sens du texte et la portée sémantique de chaque mot. Face à cette intensité et cette qualité d’exécution en direct de ce cycle d’anthologie le public s’est incliné, maintenant un silence suspendu de plusieurs longues secondes à la fin, avant d’applaudir à tout rompre.

Pour marquer la transition et permettre une respiration avant d’aborder la face Nord de ce programme, Alphonse Cemin avait interprété, fort joliment, le prélude La fille aux cheveux de lin, de Debussy. Afin de clore ce chapitre il a habilement glissé le prélude Bruyères, toujours de Debussy, indiquant, dans une courte prise de parole efficace, qu’après une telle intensité dramatique il n’est jamais mauvais de revenir à des choses plus domestiques et fréquentées, à l’instar de ce que sont les préludes de Debussy pour tout pianiste professionnel.

Puis le récital a repris, plus en pente douce mais toujours généreux et intense, avec les cinq mélodies du cycle Combat del somni de Federico Mompou. Un retour vers des contrées plus impressionnistes, délicates et suggérées, mais pour autant dotées d’une exigence expressive propre, en raison notamment de l’usage de la langue catalane, aux sonorités parfois étranges, ainsi que du caractère minutieusement calibré de cette musique. On a senti chez Marianne Crebassa un goût particulier pour cette langue et un grand respect du texte, à la fois littéraire et musical. Quant aux Cinq mélodies populaires grecques, de Ravel, elles lui ont permis de montrer toute sa palette de performeuse et de comédienne, avec, toujours, une voix souple et précise.

Conclu avec séduction par la mélodie espagnole Cómo quieres que adivine, de Jesús Guridi, puis avec douceur par Toi le cœur de la rose, extrait de L’Enfant et les sortilèges, de Maurice Ravel, ce récital aura certainement inscrit dans le cœur de chaque personne présente ce soir-là une impression tenace de tendresse et de foi en l’avenir.

Paris, Théâtre de l’Athénée, 26 mai 2025

Crédits photographiques : Simon Fowler

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